chroniques
Décryptage de la politique monétaire américaine
Mercredi 20 mars dernier, la Federal Reserve Bank a annoncé maintenir inchangé le niveau de ses taux d’intérêt directeurs, lesquels oscillent entre 5,25% et 5,50% depuis le 26 juillet 2023. Si cette décision faisait l’objet d’un consensus avant sa révélation, l’ensemble des investisseurs ont retenu leur souffle jusque 19H30, heure à laquelle J.Powell, le gouverneur de la FED, devait tenir une conférence de presse sur le sujet. Dans cette nouvelle tribune, nous avons décidé de revenir sur ce fait marquant, avant d’en décrypter les tenants et les aboutissants et ainsi, de rester au cœur des enjeux macroéconomiques actuels.
le politique monétaire américaine
Quelques éléments de contexte…
Le sujet que nous avons décidé d’aborder relève d’une importante technicité, et nécessite quelques prérequis afin d’en tirer le maximum de valeur : nous vous invitons donc à prendre connaissance de notre article sur les « taux d’intérêt », disponible dans la catégorie « mot de la semaine ».
Ceci-étant dit, il est essentiel de se replonger dans le contexte économique actuel afin de saisir parfaitement les enjeux de cette décision.
Comme vous le savez, les économies occidentales sont rongées par une inflation galopante depuis plusieurs années maintenant. Si l’inflation ralentit depuis plusieurs mois, elle demeure encore trop élevée relativement à la cible de 2% que se donnent les banquiers centraux. Notons qu’en février, le taux d’inflation de la zone euro s’établissait à 2,6%, à comparer avec les 3,2% américain.
L’inflation est donc encore trop élevée, c’est un fait. Or le principal outil qui permet de lutter contre la hausse des prix, ce sont les taux d’intérêt des banques centrales : la BCE pour la zone Euro, la FED pour les États-Unis (notre article sur le sujet l’explique parfaitement).
Toutefois, une interrogation demeure : pourquoi-nous intéressons-nous aujourd’hui à la politique monétaire américaine, alors même que notre institution de tutelle reste la Banque Centrale Européenne ?
En réalité, la réponse est assez simple : les États-Unis étant la première puissance économique et financière, ce qui s’y passe influence généralement le reste du monde par un simple effet domino, et notamment les cours des marchés financiers ! C’est pour cette raison que cette décision, ainsi que la conférence de presse l’ayant suivi, étaient suivies par des investisseurs aux quatre coins du globe.
La politique monétaire americaine
Retour sur la communication de la FED
« Les indicateurs récents suggèrent que l’activité économique s’est développée à un rythme soutenu. Les créations d’emplois sont restées fortes et le taux de chômage est resté faible. L’inflation s’est atténuée au cours de l’année écoulée mais reste élevée. »
Voilà le constat qu’ont dressé Powell et ses pairs, et qui les ont convaincus de maintenir les taux directeurs de la FED inchangés.
Qui plus est, l’institution a aussi annoncé qu’elle continuerait de « réduire ses avoirs en titres du Trésor, en titres de créance d’agence et en titres adossés à des créances hypothécaires d’agence, comme décrit dans ses plans annoncés précédemment. »
Le message de la FED est donc clair : tant qu’elle ne sera pas convaincue que l’inflation ralentisse au rythme de 2%, les taux ne baisseront pas. Jusqu’ici, pas de scoop.
Une question devrait alors vous venir à l’esprit : si les investisseurs étaient déjà conscients que les taux de ne baisseraient pas en mars, quel était l’intérêt de suivre avec attention cette conférence de presse ?
C’est ici qu’intervient une autre notion fondamentale en matière de politique monétaire : la guidance, c’est-à-dire la capacité d’une banque centrale à donner des indications sur le futur de sa politique, et donc à « guider » les marchés financiers.
Souvenez-vous d’une chose, les prix des actifs sur les marchés financiers ne reflètent pas la « valeur actuelle » de sous-jacents qu’ils concernent mais la valeur future anticipée par les investisseurs ! Et oui, sur les marchés financiers, tout n’est qu’histoire d’anticipation : les investisseurs cherchaient donc à déceler les perspectives futures que donnerait la FED lors de cette intervention, à la fois sur la conjoncture économique américaine et (donc) sur sa la politique monétaire qu’elle emploierait.
Le tableau présenté ci-dessus est très intéressant : il introduit les prévisions économiques médianes des gouverneurs de la FED, tout en les comparant aux dernières prévisions données en décembre dernier. À moyen-terme, le constat est le suivant : la FED s’attend à une croissance économique plus forte qu’en décembre (ligne 1), elle n’a que très peu revu ses prévisions en matière d’emploi (ligne 2) et anticipe une inflation légèrement plus robuste, mais qui devrait atteindre les 2% en 2026 (ligne 3).
Ce sont tous ces éléments qui lui ont permis de revoir légèrement à la hausse ses prévisions concernant le niveau des taux d’intérêt directeurs (ligne 6).
Le message est donc le suivant : l’économie américaine performant plus que bien, il n’y a pas de nécessité de diminuer le niveau des taux d’intérêt à date (ce qui généralement, permet de soutenir l’économie).
Le graphique ci-dessus présente de manière détaillée les prévisions de taux d’intérêt directeurs des différents membres de la FED. Il décrit donc un mouvement progressif de baisse des taux, parallèle au ralentissement anticipé de l’inflation jusqu’à sa cible des 2%.
On peut aussi extraire une autre donnée extrêmement intéressante concernant 2024 : la position médiane des points suggérait que 3 baisses de 0,25% chacune devrait avoir lieu cette année. Cette donnée peut se comprendre facilement : si l’inflation continue de ralentir, maintenir des taux d’intérêt trop élevés pourrait freiner de manière inutile l’économie américaine.
Vous comprenez donc tout le dilemme : diminuer les taux trop tôt présenterait le risque de ne pas voir l’inflation ralentir jusqu’à 2%, alors que laisser les taux inchangés trop longtemps pourrait endommager l’économie américaine inutilement.
le politique monétaire américaine
Notre interprétation de la situation
Les marchés financiers rêvent de futures baisses des taux : elles seraient synonymes que le combat contre l’inflation ait été remportée, et permettrait une détente des conditions financières susceptible de pousser le cours des actifs vers le haut.
Évidemment, nous ne nous attendions pas à une baisse des taux en mars, l’inflation américaine demeurant à date trop élevée.
La chose la plus importante à retenir, c’est que la FED envisage 3 baisses de taux d’ici la fin de l’année. Mais comprenez bien que cette prévision peut être amenée à changer, en particulier si l’inflation peinait à ralentir davantage. Or la recrudescence des tensions géopolitiques mondiales inspire difficilement la confiance, et ce surtout quand on connait l’impact potentiel des conflits sur les matières premières comme le pétrole par exemple.
Notre point est donc le suivant : si la FED semble être en bonne voie pour gagner son combat contre l’ogre inflationniste, il est primordial de rester attentif à la situation.
Pendant ce temps, le S&P500, l’indice boursier de référence aux États-Unis, a dépassé les 5200 points et se situe sur un ATH (All-Time High). Cette performance se comprend parfaitement à l’aune de la situation économique actuelle explicitée précédemment, mais comprenons que si l’inflation devait rebondir et les prévisions de baisses de taux se détériorer, l’histoire prendrait logiquement une autre tournure.
Notre message est donc celui de la prévention. Comme nos compères américains aiment le dire, il faut simplement patienter et observer (« wait & see »).

Martin Decanter
Analyste, auteur et coach - Certifié AMF
Martin, expert en macroéconomie et pédagogue, combine formation en finance et expériences en gestion de patrimoine et analyse stratégique.
Au sein de Finneko, il est responsable des analyses économiques et œuvre pour démocratiser l'accès à l'investissement notament via des contenus vidéo (Formation et Youtube).
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