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Les cycles économiques : comprendre, anticiper, spéculer ?
« Les crises, plus ça change, plus c’est la même chose », voilà ce que déclarait l’économiste français Michel Aglietta, père de l’École Régulationniste, au sujet des dernières crises économiques. Le constat est simple : les crises vont et viennent, leur forme apparente évolue (crise financière, crise bancaire, crise immobilière, etc) mais les fondamentaux qui amènent à la crise, eux, ne changent pas. Cette idée est intéressante, car elle présuppose en son sein l’existence d’une dynamique cyclique de l’économie dont la crise n’est qu’une étape parmi d’autres. De quoi parle-t ’on alors ?
Les cycles
La théorisation des cycles économiques
Rappelons d’abord une chose essentielle : la cyclicité de l’économie postule que l’histoire économique se répète inéluctablement, et que des phases précises de ces cycles sont identifiables. Généralement, on distingue quatre phases dans chacun de ces cycles qui durent entre 5 et 8 ans : l’expansion, la crise, la récession et la reprise. Le schéma ci-dessous résume assez bien l’intervention de ces phases dans le temps, en fonction de l’intensité de l’activité économique.
L’un des premiers théoriciens des « cycles » n’est autre que C.Juglar au 19ème siècle. Dans son ouvrage paru 1862, Juglar s’attarde à démontrer l’existence d’un cycle court dans les économies américaines, françaises et anglaises, traversant leur première révolution industrielle. Pour cela, il défend la thèse selon laquelle les cycles économiques sont en réalité des cycles du crédit, et donc de l’investissement.
En clair, pour Juglar, dans le contexte d’explosion de l’activité économique, le rôle du banquier et du crédit se sont fortement (et nécessairement) développés, à tel point qu’ils sont à l’origine d’excès qui trouvent également leurs racines dans la spéculation, favorisant une certaine cyclicité dans l’économie, et donc des crises.
Si l’analyse de C.Juglar semblait plus que pertinente au 19ème siècle, force est de constater qu’elle semble le rester encore aujourd’hui. Évidemment, le contexte économique des économies développées a fortement évolué, et ce modèle ne doit pas être calqué. En revanche, on doit à Juglar l’idée des « cycles courts » de l’économie, idée qui a été reprise maintes fois par les économistes tout au long du 20ème siècle.
Notons aussi que de nombreux théoriciens postulent l’existence d’autres types de cycles. On pense ici à N.Kondratiev, économiste russe sous Staline qui avait fait lui la découverte d’un cycle économique « long » et qui décrivait alors les « longues vagues du capitalisme ». Cette analyse aura d’ailleurs servi de base à J.Schumpeter qui en aura fait le fondement des cycles de croissance à long-terme en se servant de l’innovation comme élément moteur.
Les cycles
Comprendre la dynamique du cycle
eÉloignons-nous maintenant quelque peu des livres, et recentrons-nous sur la dynamique réelle des cycles.
Généralement, à chaque cycle est attribué (d’abord) une phase d’expansion économique. Concrètement, cette phase décrit une période où l’activité économique augmente : l’investissement des entreprises augmente, le chômage diminue, la consommation des ménages s’accélère. Pourquoi ? C’est ici qu’il est difficile d’apporter une réponse catégorique tant elle fait débat dans la sphère économique. Toutefois, on observe tendanciellement que le dynamisme des facteurs décrits précédemment sont liés à deux entités : l’État et la Banque centrale. En clair, lorsque les dépenses publiques augmentent (et permettent aux entreprises de se développer via des subventions, permettent aux ménages de consommer plus via des baisses de taxes, etc) et que les taux directeurs des banquiers centraux diminuent (emprunter coûte moins cher pour investir, consommer, etc), alors l’activité économique trouve un terreau fertile pour se développer plus facilement.
Toutefois, la phase d’expansion se retrouve toujours accompagnée de certains excès : l’inflation en est un exemple, attestant d’une certaine forme de « surchauffe » de l’économie via une tension sur les prix. Alors, ces excès ne peuvent être corrigés que par une crise. En clair, pour corriger ces excès, les deux institutions peuvent être amenées théoriquement à pivoter : la banque centrale en augmentant ses taux directeurs et donc in fine en augmentant le prix de l’argent, l’État en réduisant sa politique de soutien à l’économie et donc sa dépense publique. Dans les faits, seule la première instituions intervient en tant que régulatrice de l’activité économique. Ainsi, en relevant ses taux d’intérêt, la banque centrale aspire à ralentir l’investissement des entreprises (plus couteux), augmenter le chômage et donc naturellement ralentir la consommation des ménages. Généralement, le moment de ce pivot génère une crise, car les acteurs étaient tous convaincus que l’expansion ne s’arrêterait jamais (l’avarice humaine…) et le pivot intervient comme un choc, rebattant totalement les cartes des années à venir.
S’en suit alors une phase de ralentissement de l’économie dont les mécanismes décrits juste avant sont les moteurs appelée « récession ». En clair, l’activité économique se contracte, le moral à la fois des ménages et des entreprises est au plus bas.
Cette période de ralentissement n’étant pas sans conséquence sociale (l’histoire nous l’enseigne), les deux acteurs institutionnels que nous avons déjà mentionnés sont alors invités à mettre en œuvre des actions qualifiées de « contracyclique ». En clair, là où les banquiers centraux augmentaient leurs taux d’intérêt directeurs pour ralentir l’économie, ils opèrent cette fois ci des baisses afin de stimuler l’investissement, la consommation, etc. De la même manière, les États usent généralement de la dépense publique pour « relancer l’économie » (le célèbre « quoi qu’il en coûte » d’Emmanuel Macron en fût un parfait exemple). Cette action contracyclique permet ainsi d’augurer une période de reprise, qui à terme est censé remettre l’économie sur le chemin de l’expansion.
Les cycles
Comment profiter de la dynamique cyclique ?
Si je ne doute pas de votre intérêt à comprendre le monde dans lequel nous vivons, il est évident que la question principale devient : comment profiter des cycles économiques en tant qu’investisseur ? C’est ici qu’il est plus que pertinent d’introduire un célèbre concept financier : le Beta. Le Bêta, c’est un outil permettant de mesurer la fluctuation (et donc le risque) d’un actif relativement aux mouvements d’un marché dit « de référence ». C’est un concept très utilisé par les professionnels de la finance, notamment dans le cadre de modèles d’évaluation. À titre indicatif, le Bêta d’un actif se calcule comme le rapport de la covariance de la rentabilité de l’actif avec celle du marché à la variance de la rentabilité du marché. La formule est la suivante :
Ce qu’il faut donc retenir, c’est que le Beta permet de définir la corrélation entre l’actif et le marché. En faisant le postulat que les marchés financiers fluctuent à long-terme selon les cycles que nous vous avons présenté, nous avons donc la possibilité d’ajuster notre portefeuille en faisant du Beta un critère (pas le seul) pertinent. Prenons un exemple : en phase d’expansion, l’activité économique progresse et l’ensemble des acteurs sont confiants dans l’économie. Généralement, durant cette période, les marchés progressent. Ainsi, il peut être pertinent d’augmenter son exposition à des actifs procycliques, telles que des actions technologiques (à fort Beta) dans le but de surperformer le marché.
À l’approche de la crise, la théorie voudrait donc de couper son exposition à ce genre d’actifs pour se recentrer sur des actifs contracycliques (en clair, des actifs dont la performance est généralement inverse aux marchés). Évidemment, la réalité est bien plus difficile puisque « timer » un sommet est très complexe (mais c’est un autre sujet). Pendant la récession, la phase de décélération de l’activité économique, l’objectif est donc de capitaliser sur des actifs à faibles Beta, ou à Beta négatif. Généralement, on parle d’actions « défensives » (secteurs de la consommation, de la santé). Les obligations tendent aussi à tirer leur épingle du jeu.
Enfin, lorsque le « bottom » est trouvé et que les institutions manifestent leur volonté de soutenir l’économie, il est généralement temps d’opérer une nouvelle rotation sur son portefeuille, en se positionnant sur des actifs à fort Beta qui, selon vous, ont de forte chance de rebondir après la crise.
Ceci-étant dit, comprenez-bien que cette méthode ne soit pas « magique », car d’autres paramètres entrent en compte. Toutefois, elle propose une base stratégique solide pour un investisseur consacrant une importance aux cycles économiques.
Martin Decanter
Analyste, auteur et coach - Certifié AMF
Martin, expert en macroéconomie et pédagogue, combine formation en finance et expériences en gestion de patrimoine et analyse stratégique.
Au sein de Finneko, il est responsable des analyses économiques et œuvre pour démocratiser l'accès à l'investissement notament via des contenus vidéo (Formation et Youtube).
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