CHRONIQUES

Le France traite-t-elle toujours avec l’atelier du monde quand elle parle à la Chine ?

 

Avec son arrivée dimanche dans la capitale française, le chef d’Etat de la République populaire de Chine Xi Jinping a commencé son tour d’Europe dans le cadre de ses visites d’Etat sur le Vieux continent. Il est d’abord accueilli par le Premier ministre Gabriel Attal et sera ensuite accompagné par Emmanuel Macron à partir du lundi 6 mai jusqu’au mardi 7. Décryptage.

La france et la chine

Point introductif

Le président chinois n’avait pas mis les pieds en Europe depuis 2019. Néanmoins, sa venue fait suite à une visite du président français un an plus tôt et symbolise au-delà de ça le soixantième anniversaire des relations diplomatiques entre la France et la Chine, établie en 1964 alors que le Général de Gaulle s’était montré favorable à tisser des liens avec une “puissance manifeste et souveraine”. Charles avait alors du flair sur le pouvoir d’influence et la capacité de production que la nation chinoise allait pouvoir présenter d’un point de vue économique.

Aujourd’hui, la place de la Chine sur l’échiquier économique mondial est indéniablement prédominante, défiant le mastodonte américain dans le cadre de guerres commerciales interposées. Au-delà de son rayonnement économique, ce pays plus libéral que quiconque se financiarise encore et toujours plus depuis les années 1990. Ainsi, grâce à des places boursières connues et reconnues comme Shenzhen ou encore Shanghaï, Pékin capitalise sur ses fleurons nationaux. Traiter avec la Chine n’est donc plus une option – si c’en était restée une sur les vingt dernières années, c’est une nécessité.

L’opportunité de cette visite d’Etat est l’occasion de jouer cartes sur table et d’aborder des sujets géopolitiques sensibles (guerre en Ukraine, conflit dans la bande de Gaza, développement durable…) et de traiter de sujets ayant attrait au commerce, sur lequel la Chine est dure en affaires. Il semble donc que serrer la main de Xi Jinping, cela ne revient plus à remercier un exportateur productif et cantonné au début de la chaîne de production. Bien plutôt, la Chine est devenu cet acteur incontournable, amie impossible que l’on ne souhaite cependant pas avoir en ennemi. Il n’en demeure pas moins que la Chine a encore du chemin à faire pour étendre son influence par-delà sa zone actuelle, et elle ne devra sûrement pas compter sur son projet des nouvelles routes de la soie.

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Bipolarité, multipolarité, tripolarité… Peu importe, l’échiquier est là, et voici comment la Chine se positionne dessus

Au cours de la dernière décennie, l’économie chinoise a connu une transformation profonde, grimpant les échelons de la hiérarchie mondiale et s’affirmant comme une puissance incontournable qui façonne désormais l’équilibre économique global. La première vitrine de cette réussite économique est la valeur de la croissance économique du pays qui s’affiche en moyenne à 5,7% entre 2013 et 2022, les effets de la crise pandémique étant compris dans la pondération de ce taux (6% sinon).

La Chine s’est de facto consolidée comme la deuxième économie mondiale, générant un produit intérieur brut (PIB) qui a atteint 17 900 milliards de dollars en 2022. Bien que ce taux ait légèrement ralenti ces dernières années, notamment en raison de la pandémie, il demeure enviable par rapport aux économies développées. La croissance rapide du pays a été alimentée par une transformation structurelle profonde : autrefois centrée sur l’industrie et les exportations, l’économie chinoise s’oriente désormais résolument vers les services et la consommation intérieure. Désormais, le secteur des services représente plus de 50 % du PIB. Parallèlement, les géants technologiques comme Huawei et Tencent rivalisent avec les entreprises occidentales, reflétant une montée en gamme industrielle spectaculaire.

Spoiler alert donc : la Chine n’est plus simplement l’atelier du monde. Les investissements massifs dans les technologies émergentes ont permis au pays de se positionner en tête de secteurs tels que l’intelligence artificielle, les énergies renouvelables et les véhicules électriques. La Chine produit aujourd’hui plus de 70 % des panneaux solaires mondiaux, devenant un leader incontesté dans les énergies propres. Cette montée en gamme industrielle témoigne de la détermination du pays à s’affranchir de l’étiquette de simple fabricant de produits à bas coût.

Cependant, cette croissance effrénée n’est pas sans créer des tensions. Les différends commerciaux avec les États-Unis ont engendré une guerre tarifaire qui fait des secousses dans le commerce mondial. Les mesures protectionnistes américaines, visant notamment les produits technologiques chinois, illustrent la rivalité croissante entre les deux pays et polarisent les relations économiques internationales. La Chine doit donc trouver un équilibre entre son désir d’expansion et la nécessité de préserver des relations commerciales stables avec ses partenaires.

Au sujet des investissements directs à l’étranger (IDE), et plus particulièrement des flux sortants, alors que ces derniers avaient atteint les 6 points au milieu des années 1990, ils ont récemment touché les 0,2%, niveau le plus faible depuis 1993. Cette forte contraction s’inscrit dans la droite lignée du contexte de tensions sino-américaines, conjuguées à des mesures réglementaires mises en œuvre par le gouvernement chinois en 2021. Néanmoins, bien que cette baisse soit inédite depuis 30 ans, elle n’est pas nécessairement un mauvais signe. Alors que pour les pays en voie de développement, les IDE sont dans un premier temps un moyen de croître, de monter en compétences et d’améliorer le niveau de vie moyen (cela ne doit en aucun cas occulter les fortes inégalités qui demeurent, les plus aisés concentrant une part croissante de la richesse nationale), il est naturel de voir ces montants diminuer par la suite en pourcentage de PIB. L’augmentation du revenu vient amenuir la part des IDE dans la richesse globale produite à l’échelle nationale.

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Réminiscences du contexte économique récent en Chine

La pandémie de coronavirus qui a débuté à la fin de l’année 2019 en Chine a gravement affecté la croissance du pays. Alors que ce dernier affichait une croissance de 8,4 % en 2021, celle-ci est tombée à 3 % en 2022. En janvier 2024, l’indice des prix à la consommation (IPC) montrait une déflation de 0,8 point, dans la continuité de la spirale déflationniste débutée en juillet 2023. Ce phénomène a sérieusement menacé l’économie chinoise, les consommateurs retardant leurs achats dans l’attente d’une baisse continue des prix. De plus, la baisse du rythme de la croissance s’est accompagnée d’une décroissance démographique, en partie due à la politique de l’enfant unique et à l’incertitude économique. En 2023, l’Inde a par conséquent dépassé la Chine en tant que pays le plus peuplé du monde. Le secteur immobilier a également connu de vives turbulences, avec les géants Country Garden et Evergrande en proie à de graves difficultés financières. Ces problèmes se sont développés sur fond de tensions géopolitiques persistantes, en particulier avec les États-Unis dans une compétition pour le leadership économique mondial.

Malgré ces défis, le gouvernement chinois a réagi avec une politique volontariste. Des mesures ont été prises pour endiguer la perte globale de 7 000 milliards de dollars en valeur des actions chinoises. Une nouvelle direction plus autoritaire a été nommée à la tête de la Commission de régulation des marchés financiers (CSRC). Et… la magie a opéré. En mars, bien que les exportations chinoises aient diminué de 7,5 % en valeur et les importations ont chuté de 1,9 % en raison de la désinflation régionale, les volumes exportés eux demeurent élevés, notamment grâce à une production soutenue dans les secteurs des énergies renouvelables et des véhicules électriques, accentuant la concurrence internationale.

Pour parachever cette sortie de la tête hors de l’eau, au premier trimestre 2024, la croissance chinoise s’est établie à 5,3 %, dépassant les attentes. Le gouvernement vise donc un taux de croissance annuel de 5 % en 2024, soutenu par une augmentation de 2,2 % du salaire mensuel moyen, stimulant la demande après trois trimestres de baisse. Ces indicateurs suggèrent que l’interventionnisme et la rigueur en matière de marchés financiers portent leurs fruits.

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Quels sont les points économiques à retenir de cette visite d’Etat ?

Véhicules électriques :

BYD est une société chinoise investie sur le marché de la voiture électrique, présentant un chiffre d’affaires de 76,8 milliards d’euros en 2023, soit plus de 40% de croissance sur un glissement annuel. Bruno Le Maire a annoncé à l’occasion de la visite d’Etat que les investissements de l’entreprise étaient les bienvenus en France. En 2023, le principal concurrent de Tesla possédait 23 concessions en France et objectivait d’atteindre le nombre de 80 d’ici la fin de l’année 2024. La VE chinoise arrive donc en force en France, et cela est absolument consenti. Cette approbation s’intègre dans le sillage de la stratégie française d’électrification de son parc automobile, conformément à l’objectif de neutralité carbone à horizon 2050. Pour BYD, l’idée est principalement de diffuser sa production au-delà des frontières de la Chine et donc d’être davantage identifiée. Selon un article d’Auto journal publié en mars 2024, le prix des modèles BYD se situent autour des 40 000 €, soit au-delà des modèles citadins de VE mais bien en deçà des modèles Luxe, qui intègre notamment Tesla. Une pression au niveau des prix pourrait alors s’exercer sur les constructeurs français si le fabricant chinois continuait sa politique tarifaire agressive. D’autant plus que le secteur est généreusement subventionné, en Chine comme en France. Une course au véhicule électrique donc ?

Agriculture :

Au cœur des aspects commerciaux évoqués se trouvent le sujet de l’accès aux marchés chinois pour les produits avicoles français. En 2018, 11% des exportations françaises vers la Chine étaient de nature agricole, dont la moitié étaient des vins et des spiritueux. En outre, pour renforcer son accès au marché chinois, la France a obtenu l’élargissement de ses possibilités d’exportations aux abats porcins. Dans leurs échanges, selon le compte-rendu de la déclaration commune réalisé par l’Elysée, la France a encouragé l’initiative chinoise « de la ferme française à la table chinoise » pour accroître les exportations agricoles, ancrant la volonté d’intensification du partenariat agricole déjà existant. En viticulture, le renouvellement de l’accord sur les indications géographiques et l’enregistrement d’autres appellations va dans le sens d’une présence française plus ancrée. Le tout est donc de lutter contre le phénomène cognac : la France ne veut pas être remplacée d’un point de vue agricole.

Intelligence artificielle :

Les deux pays ont affirmé la volonté de fonder une gouvernance internationale en matière d’IA et une production fondée sur le bien commun et le respect des droits individuels fondamentaux. Cela étonne un peu, Pékin n’étant pas réputée pour être la plus exemplaire en matière de déférence de la sphère privée. Mais l’idée est là : l’IA est un sujet incontournable, il faut réguler, le tout sur une toile de fond où les investissements croissent. Cela s’inscrit dans la continuité de la stratégie chinoise enclenchée en 2017 de faire du pays le «principal centre d’innovation en matière d’intelligence artificielle au monde» à horizon 2030.

Cette visite a également marqué la possibilité d’une rencontre tripartite entre le président chinois, le président français et la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen. La notion d’équilibrage des relations sino-européennes étaient au cœur des interventions, l’Europe pâtissant du caractère tentaculaire de la Chine d’un point de vue commercial. Ainsi, Ursula Von der Leyen a rappelé que l’Union européeen (UE) pourrait prendre des mesures coercitives à l’encontre de la Chine si la concurrence était jugée déloyale. Malgré un manque d’unanimité à ce sujet au niveau européen, l’UE incarnée par la présidente de la Commission européenne a voulu montrer les dents. Un coup d’épée dans l’eau ?

La France ne traite donc plus avec l’atelier du monde, il serait naïf de le croire. La Chine est devenue un laboratoire qui façonne les tendances (IA, énergies renouvelables, VE) et influence le monde, tout en représentant un puissant concurrent à l’hégémonie américaine. De plus, alors que le rayonnement français est de moins en moins coruscant, la politique extérieure de la Chine est aussi réfléchie que suscitant les controverses (la Chine a renforcé ses relations avec la Russie en 2023, ses exportations augmentant de 46% sur 2023 vers Moscou selon Statista). L’aspect réflexif se trouve notamment par des implications économiques stratégiques comme la Chine. Ainsi, Paris s’affichant avec Pékin, ce n’est pas Paris qui joue d’égal à égal, c’est Paris qui tente d’alimenter une relation nécessaire où la France peine à talonner le géant chinois.

Samuel Brel

Samuel Brel

Auteur

 

Convaincu de l'importance de démocratiser la pensée économique, Samuel rédige depuis deux ans une newsletter quotidienne pour ouvrir les esprits aux enjeux actuels.

Alliant conviction et passion, il vous propose chaque semaine la Lettre Finneko et notre Chronique hebdomadaire, pour suivre les événements influençant les investissements.

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