CHRONIQUES

Jim Simons, le baron des quants

 

Vendredi 10 mai 2024, James Simons, l’homme qui avait fait de sa passion pour les mathématiques une véritable mine d’or, a quitté ce monde. Cette semaine, mettons de côté la géopolitique pour partir à la découverte du véritable Mozart de la finance, n’en déplaise à la concurrence, et comprendre ce qu’est Renaissance Technologies, fruit de la rencontre entre l’investissement et les mathématiques.

le baron des quants

Sur les pas de James Simons…

Né en avril 1938 dans le Massachusetts, James Harris Simons commence très rapidement à se passionner pour les mathématiques, domaine dont il dira «qu’il aime tout» dans une interview en 2015. En 1958, il décroche un premier diplôme du MIT en mathématiques, et cela n’étant pas assez, il complète par un doctorat trois années plus tard, obtenu au sein de l’université réputée de Berkeley. Bardé de beaux papiers, Jim commence sa carrière par l’enseignement pour faire ses armes. Mais à peine aura-t-il emprunté cette voie que la National Security Agency, notamment responsable des systèmes d’information du gouvernement américain, l’appelle pour servir sa patrie. Il sera démis de ses fonctions en 1968 après s’être opposé à la guerre menée par les Etats-Unis contre le Vietnam.

Néanmoins, loin de ralentir sa carrière, cette expulsion lui a permis de prendre la direction du département des mathématiques dans l’Université Stony Brook, qui serait le quinzième meilleur établissement au niveau mondial pour l’enseignement mathématique selon le classement de Shanghaï 2018. Il contribue à cette occasion à la recherche scientifique en étoffant les connaissances en théorie du champ quantique, en théorie des cordes ainsi qu’en physique de la matière condensée. Au cours de sa direction, il obtient le prix Oswald Veblen, décerné aux individus ayant contribué à des avancées majeures en termes de géométrie et de topologie.

Une riche carrière universitaire donc… qui l’amène, tout à fait logiquement, à fonder Monometrics, fruit de premières bribes de fonds d’investissement, en 1978. Ce premier essai, loin d’être incohérent avec son profil de chercheur en mathématique, est l’expression la plus concrète de son intérêt pour le sujet de l’investissement financier, qu’il expérimentait déjà alors qu’il foulait les couloirs de Berkeley. Dans un premier temps, ses débuts comme néo-shark ne paient pas. Il échoue, mais ne baisse pas les bras. C’est ainsi que quatre années plus tard, en 1982, des cendres de Monometrics émergent le hedge fund que tout le monde lui connaît : Renaissance Technologies.

Ce fonds d’investissement est classé parmi les meilleurs en termes de rentabilité financière, ce qui vaut à Jim Simons de dépasser les Warren Buffett (Berkshire Hathaway), les Georges Soros (Quantum Fund) et autres Peter Lynch (Fidelity Magellan Funds), avec une performance annuelle moyenne de 66% entre 1988 et 2018, record qui s’établit à 39,1% net de frais. Dans un premier temps, Rentec se focalise sur le trading de devises. Puis, son spectre va s’élargir et toucher les matières premières, le marché action, le marché obligataire et tutti quanti.

Ce qui fait le succès de Renaissance Technologies, c’est bien ce qui a fondé la réussite académique de Jim Simons : les mathématiques. En mettant sa passion au service de son portefeuille, il va constituer un terreau fertile pour faire pousser les dollars. Tant et si bien qu’en 2024, il était classé 55e homme le plus riche du monde avec une fortune estimée à 31,4 milliards de dollars, contre 28,1 milliards en 2023. Cet argent accumulé lui a notamment permis de financer les recherches autour de l’autisme par le biais de la Fondation Simons. Un mathématico-philanthro-financier donc. La recette du succès ?

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Comment fonctionne Renaissance Technologies ? L’analyse quantitative au service de la finance

En 1982, lorsque naît Renaissance Technologie, Jim Simons n’a qu’une chose en tête : que les mathématiques deviennent le seul déterminant de ses choix d’investissement. Pour cela, il mobilise des modèles probabilistes et statistiques afin de composer un premier modèle qui ressemble d’abord à une analyse fondée à la fois sur du fondamental et sur du technique. La différence de ces deux méthodes analytiques en finance s’établit dans l’information cible. Tandis que l’analyse fondamentale recouvre l’étude des indicateurs économiques et financiers d’une entreprise, comme ses Free Cash Flow (FCF) ou ses Earnings before interests, taxes, depreciation and amortisation (EBITDA), l’analyse technique se concentre sur les fluctuations récentes d’un cours boursier pour en tirer des leçons en matière de trading. Ainsi, les mathématiques aident dans un premier temps Jim Simons à allier ces deux clés de lecture pour faire des trades rentables.

Néanmoins, la solitude ayant parfois du bon quand on se plonge dans les chiffres, une émulation intellectuelle positive n’est jamais malvenue. L’ayant bien compris, le vaisseau amiral Rentec a commencé à constituer son équipage, et pas n’importe lequel. Jim Simons va recruter des doctorants en mathématiques, physiques, statistiques et autres crack des chiffres pour monter en puissance. Les fruits de cette passion des chiffres (mathématiques comme financiers) donnent naissance aux analystes quantitatifs (les Quants). L’idée de constituer une armada de ces génies des nombres trouve un écho positif, tant et si bien qu’en 1988, le portefeuille le plus performant du fonds, le Medallion Fund, voit le jour. Ce véhicule financier, qui a tout l’air d’un blindé si on s’en tient à sa rentabilité financière annuelle, n’est accessible qu’aux membres de Rentec, qui sont donc partenaires de la société, à l’exception de quelques rares élus anonymes. Ce fonds est complété par trois petits frères accessibles aux investisseurs externes : le Renaissance Institutional Equities Fund (RIEF, 2005), le Renaissance Institutional Futures Fund (RIFF, 2007) et le Renaissance Institutional Diversified Alpha (RIDA).

Pour synthétiser l’objectif de Renaissance Technologies, il est possible de le décrire comme la recherche de modèles reproductibles. Celui qui fut surnommé the man who solved the market par Gregory Zuckerman dans un livre éponyme a fait évoluer son logiciel d’analyse quantitative en répondant systématiquement à ses limites ou à ses obsolescences naturelles causées par une adoption généralisée des techniques utilisées. Ainsi, du modèle statistique capable de maximiser les gains par rapport aux pertes et de dégager des plus-values, Rentec a fini par intégrer le machine learning à son modèle, favorisant un traitement considérable de données en des temps records. Cette exploitation de bases de données colossales est au fondement de la réflexion d’investissement de Jim Simons. Afin de fiabiliser les modèles statistiques prédictifs, il fallait une grande quantité de données aptes à constituer des modèles fondés sur un historique profus. De cette façon, la récolte et le traitement de la donnée ont représenté des étapes capitales dans la réussite du hedge fund.

Cet usage constant des mathématiques et des statistiques s’est mêlé à l’exploitation de certains phénomènes financiers comme le mean reversion. Ce dernier fait état de la situation selon laquelle un cours boursier qui a tendance à systématiquement retomber ou remonter à un niveau donné finira nécessairement par atteindre ce dit niveau quelles que soient les fluctuations. Autrement dit, la valeur du cours gravite autour d’une moyenne dite de long-terme vers laquelle il convergera nécessairement. Ainsi, un investisseur peut short une position supérieure à ce niveau canonique et long une position inférieure, cela afin de réaliser des gains quasi-certains.

A mesure que l’équipe de choc rassemblait des données et constituait des modèles selon une méthode scientifique de l’essai et de l’ajustement à partir de paramètres connus, elle parvint à identifier des modèles fantômes jamais détectés auparavant, ce qui a notamment pu permettre de pratiquer le scalping, autrement appelé micro-trading.

L’analyse quantitative, portée par des quants motivés par la perspective de rendements phénoménaux, a donc participé de l’affirmation de Renaissance Technologies comme le fonds de gestion alternative le plus rentable du cinquantenaire.

Source : Finneko

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Quels enseignements tirer de Rentec ?

La première leçon est : ayez un PhD en mathématiques. Loin d’être anodine tout en n’étant au fond que contingente, cet enseignement signifie plus concrètement que la réussite en investissement ne se résume pas aux analyses techniques, fondamentales, ni même quantitatives. Ainsi, une expertise interdisciplinaire conditionne la réussite en investissement. De fait, alors qu’il est complexe d’assimiler un nombre infini de données, la collaboration de profils complémentaires permet de parachever des stratégies d’investissement efficaces. Jim Simons l’a bien compris lorsqu’il s’est entouré non pas d’experts financiers mais bien de professionnels des sciences mathématiques. Pour parfaire sa compréhension de l’investissement, il faut donc s’entourer de personnes complémentaires, traitant de chaque sujet inhérent au monde de l’investissement.

En outre, alors que l’information est capitale, ses évolutions peuvent être difficilement soutenables émotionnellement, compromettant des comportements rationnels en tant qu’investisseur. Mathématiser sa méthode, c’est rationaliser de telle façon à outrepasser les biais émotionnels et subjectifs qui peuvent desservir une stratégie initialement réfléchie. Ainsi, l’information condensée en modèles autonomes rationnels favorise l’effacement de barrières enclines à mettre en danger un portefeuille.

Néanmoins, Rentec fonctionne sur la base de compétences techniques articulées par les quants et générées par de puissants systèmes techniques, extrêmement coûteux. Sur le site laconique de Renaissance Technologies, il est affiché que chaque jour, la base de données de recherche de l’entreprise croît de plus de 40 téraoctets. On y apprend également que le fonds utilise plus de 50 000 ordinateurs. Une puissance technologique remarquable donc, mais qui cause une dépendance technologique dont les conséquences pourraient être désastreuses s’il s’avérait que les anomalies de marché et les événements non modélisables se multipliaient. Toutefois, ce scénario est peu probable tant les systèmes actuels fondés sur le machine learning ont une puissance de calculs capables de s’adapter à une multitude de facteurs.

Par les mathématiques et la puissance de calcul, Jim Simons est finalement parvenu à jongler avec l’incertitude, bête noire des investisseurs. Il est complexe de reproduire le même système tant les besoins technologiques sont onéreux, mais il n’en demeure pas moins qu’une bonne compréhension des marchés passe par l’obtention d’informations au bon moment et la saisie des moments opportuns, conditionnées par une capacité à traiter une flux continu d’informations pour en extraire la substantifique moelle. Cette dernière saura nourrir votre stratégie d’investissement, et Finneko vous aide à l’obtenir par son offre pluridisciplinaire et qui tend vers l’exhaustivité.

Samuel Brel

Samuel Brel

Auteur

 

Convaincu de l'importance de démocratiser la pensée économique, Samuel rédige depuis deux ans une newsletter quotidienne pour ouvrir les esprits aux enjeux actuels.

Alliant conviction et passion, il vous propose chaque semaine la Lettre Finneko et notre Chronique hebdomadaire, pour suivre les événements influençant les investissements.

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