CHRONIQUES
Législatives françaises : les résultats laissent peser une lourde incertitude
Dimanche 7 juillet, la France et le monde ont découvert les résultats du second tour des élections législatives anticipées. Faisant suite au décret du 9 juin 2024 portant dissolution de l’Assemblée nationale, ces élections ont rapidement vu trois camps principaux se former : le Nouveau Front Populaire (NFP), alliance des gauches, Ensemble, composé du camp présidentiel et des partis centristes le Modem et Horizons, et le Rassemblement National (RN) et ses alliés. À l’issue du premier tour, de nombreuses “triangulaires” ont opposé des candidats issus des trois coalitions politiques. Afin de faire barrage au Rassemblement National, plusieurs candidats se sont retirés de la course. Pari gagnant : le NFP prend la plus grande partie des sièges de l’Assemblée, suivi par Ensemble et enfin, le RN. Une surprise qu’il convient d’analyser…
20h. Alors que 66,7% des citoyens français ayant le droit de vote se sont rendus aux urnes, les premiers résultats sont rendus publics. Coup de tonnerre et désillusion pour le parti qui était arrivé en tête à l’issue du premier tour : le Rassemblement National et ses alliés arrivent en troisième position en termes de forces politiques, derrière le camp présidentiel, lui-même dans les pas du NFP. Au premier tour, le parti présidé par Jordan Bardella avait remporté 29,25% des suffrages exprimés, l’union de la gauche 27,99% et l’ex-majorité présidentielle 20,04%. Les prévisions octroyaient une majorité, si ce n’était absolue, au moins relative au camp nationaliste. Le Rassemblement National s’était alors dit “prêt à gouverner”, Jordan Bardella faisant office de figure désignée pour la primature. Il disait même avoir “un gouvernement en tête”. Et bien, ce ne sera pas pour maintenant.
Selon le Monde, sur les 577 sièges de l’Assemblée, relégué à la troisième position, le RN renforcée des candidats dissidents Les Républicains remporte 143 sièges, contre 168 pour Ensemble et 182 pour le Nouveau Front populaire. Les Républicains pourront pour leur part s’asseoir sur 46 sièges. Cette nouvelle composition est marquée par une nette montée en puissance du Rassemblement National ; une victoire tout de même pour un parti politique qui poursuit son chemin vers les arcanes du pouvoir. En 2022, le parti n’avait remporté que 89 sièges, alors que la majorité présidentielle dominait en majorité relative avec 240 places dans la première chambre de la République. Le NFP ressort également raffermi de ce front opposé au RN, avec 67 sièges supplémentaires comparé à 2022.
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Une assemblée fragmentée en trois blocs qui refusent des alliances
Dans sa configuration actuelle, l’Assemblée nationale est visiblement tripartite. Les rapports de force ne sont pas encore tout à fait définis et les prochaines semaines vont être le théâtre de jeu de séduction et de rejet pour former des alliances politiques à même de permettre à un bloc d’influencer majoritairement la chambre des députés. La soirée du dimanche fut l’occasion d’un fleuve de commentaires provenant de toutes parts de l’échiquier politique. La gauche rassemblée derrière la bannière NFP entend gouverner, étant majoritaire dans l’hémicycle, et certains en son sein, à l’image de Jean-Luc Mélenchon, leader de la France Insoumise, refusent les alliances avec Ensemble.
Quelques autres à l’instar de l’ancien président François Hollande ou le chef de file du Parti socialiste aux élections européennes Raphaël Glucksmann appellent toutefois au dialogue et aux pourparlers avec le camp d’Emmanuel Macron. Lui aura davantage tendance à faire du pied aux Républicains et aux candidats de la gauche qui ont décidé de ne pas se rallier au NFP. Selon un certain scénario, un bloc centre-droit pourrait émerger avec près de 215 sièges. Cela permettrait d’assurer une gouvernabilité d’une Assemblée déjà doublement fracturée. Le NFP et Ensemble s’accorde en revanche à refuser de tendre la main au Rassemblement National, véritable paria.
Le risque de cette composition est une immobilisation de la vie politique, la majorité étant alors incapable de porter des projets qui ne seront pas endigués par les partis de l’opposition, comme par exemple la réforme des retraites. Les motions de censure pourront alors pleuvoir, prouvant un désaccord suite à l’énonciation de la politique générale du Premier ministre et de son gouvernement ou à l’usage de l’article 49.3 de la Constitution. La paralysie législative se maintiendrait alors, cela participant d’un climat d’incertitudes déjà installé depuis l’annonce de la dissolution il y a un mois.
D’autant plus que cette quasi-tripartition pose désormais la question du gouvernement. Dimanche soir, comme le veut la tradition républicaine, Gabriel Attal a annoncé au cours de son discours télévisé qu’il déposerait la démission de son gouvernement à Emmanuel Macron le lendemain matin. Arrivé à l’Elysée, le Président a refusé sa proposition afin d’assurer la “stabilité du pays” et que “le gouvernement puisse demeurer à la tâche et agir en ces jours”. Dans le même temps, le NFP se réunit au cours de la semaine afin de proposer un nom pour la primature. Jean-Luc Mélenchon n’a pas rejeté l’idée d’entrer à Matignon, mais sa personnalité clivante au sein du camp de gauche amène d’autres profils à avoir dans leur viseur le bureau actuellement occupé par Gabriel Attal.
La nomination d’un nouveau gouvernement est un sujet de préoccupation pour les marchés, les annonces à venir seront donc capitales. L’enjeu est par ailleurs de taille pour le Nouveau Front Populaire, qui est une résurgence d’une Nupes qui n’était pas parvenue à survivre aux désaccords internes. Faire émerger une figure consensuelle est un déterminant de la réussite de ce front constitué dans l’urgence des élections législatives, suite aux résultats records du Rassemblement National aux européennes.
Enfin, l’éventualité d’un gouvernement technique, ou autrement appelé gouvernement technocratique, est sur plusieurs lèvres. Déjà à l’œuvre en Italie et en Belgique, la culture politique française n’est pas particulièrement favorable à cette possibilité. Mais elle permet en soi de résoudre une fracture politique en nommant des profils qui ne revêtent pas tant une influence politique qu’une expertise dans leur secteur.
La question du gouvernement est cruciale en cela qu’elle est intimement liée à celle du budget, soit le projet de loi des finances. Alors que le déficit public s’est élevé à 5,5% en 2023, l’agence de notation S&P Ratings a dégradé la note de la France. Par ailleurs, les perspectives ne sont pas plus positives, malgré les plans d’économie de milliards d’euros annoncés par Bercy. Ainsi, les programmes dispendieux ne sont pas les plus bienvenus. Selon l’Institut Montaigne, le déficit public serait creusé de 179 milliards d’euros si le programme du NFP venait à être appliqué, tandis qu’il s’approfondirait de 20,6 milliards avec le programme d’Ensemble et de 71 milliards pour le Rassemblement National.
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Au lendemain, quelles réactions des marchés ?
Le contexte d’incertitudes politiques avait entraîné des fluctuations fortes du CAC40 au cours de la semaine d’entre-deux tours. La réaction de la bourse française était alors attendue à l’ouverture le lundi matin. Les deux hypothèses pessimistes pour les marchés, une de la majorité remportée par le Rassemblement Nationale, et deux de la majorité absolue du NFP, ont été écartées. Ainsi, en pré-ouverture, le CAC est attendu en hausse, ce qui se produit effectivement sur la première partie de la journée.
Toutefois, les gros titres de la presse étrangère (The New York Times titre “An uncertain path for France” ce mardi) suffisent à prendre le poul de la situation : les résultats définitifs n’ont en aucun cas résolu le marasme politique à l’œuvre en France. La nomination d’un gouvernement est particulièrement observée par les marchés, so do you. Ainsi, alors que le CAC ouvre autour des 7 670€, le cours grimpe jusqu’à 7 720€ au milieu de la matinée, ce avant de retourner en dessous de la barre des 7 600€, valant à 10h00 ce mardi près de 7 590€. L’incertitude se poursuit après le souffle rassuré.
Pour comparer la confiance des investisseurs dans les deux économies de la zone euro les plus importantes économiquement, l’Allemagne puis la France, il est possible d’utiliser le spread (écart). Depuis début mai, le spread entre les obligations à 10 ans allemandes (Bund) et françaises (OAT) a montré des mouvements significatifs. En début mai, le spread était relativement stable, oscillant autour de 0,50 point. Cependant, début juin, on observe une forte augmentation du spread, atteignant des niveaux au-delà de 0,80 point, ce en raison de l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron. Les investisseurs, anticipant des résultats électoraux incertains, ont commencé à exiger une prime de risque plus élevée pour les obligations françaises, perçues comme plus risquées comparativement aux obligations allemandes.
Après cette montée rapide, le spread a montré une tendance à la baisse, passant de 0,8 point à environ 0,7 point début juillet. Cette réduction a alors indiqué que les marchés commençaient à digérer les résultats des élections et à réévaluer le risque associé aux obligations françaises. Puis, l’issue de dimanche dernier a semblé rassurer encore davantage les investisseurs, alors que l’écart continue de se réduire entre les deux types de bons du trésor, atteignant 0,653 point peu avant 9h aujourd’hui. La volatilité du spread durant cette période reflète en tout cas les craintes initiales liées au contexte d’incertitudes politiques.
Les résultats des élections législatives anticipées en France participent à la continuation de l’incertitude politique instaurée il y a désormais un peu plus d’un mois. La victoire relative du Nouveau Front Populaire marque un tournant important, mais ne suffit pas à assurer une gouvernabilité stable de l’Assemblée nationale. Ensemble, avec leur 168 sièges, et le Rassemblement National, avec leur 143 sièges, complètent le tableau, rendant toute majorité absolue impossible sans alliances, alliances que certains pourraient juger “contre-nature”.
La configuration tripartite de l’Assemblée promet donc quelque temps de négociations intenses. Le NFP, malgré son succès, devra naviguer entre les appels à l’unité et les divergences internes, notamment la position clivante de Jean-Luc Mélenchon. La fragmentation de la chambre des députés risque de paralyser le processus législatif, les réformes étant susceptibles de se heurter à des blocages répétés.
Par ailleurs, nous l’avons vu, l’incertitude politique a également des répercussions sur les marchés financiers, bien que les pires craintes des investisseurs ne se soient pas réalisées. Néanmoins, face à l’incertitude se maintenant, le gouvernement doit rassurer, alors que l’agence Moody’s a alerté qu”un renversement des réformes mises en oeuvre depuis 2017 [début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron], telles que la libéralisation du marché du travail et la réforme des retraites” pourrait avoir des impacts délétères sur la note de la France.
Samuel Brel
Auteur
Convaincu de l'importance de démocratiser la pensée économique, Samuel rédige depuis deux ans une newsletter quotidienne pour ouvrir les esprits aux enjeux actuels.
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