CHRONIQUES
Les travaillistes remportent la primature au Royaume-Uni
Le 22 mai 2024, suite à plusieurs défaites politiques, en particulier au cours des élections locales de début mai, le Premier ministre britannique Rishi Sunak convoque des élections générales quelques huit mois avant la date butoir du 28 janvier 2025. Cinq ans plus tôt, Boris Johnson arrivait à la tête du gouvernement, porté par les conservateurs majoritaires dans la chambre des communes. Après une année d’exercice du pouvoir pour BoJo, le Brexit, choisi par 51,9% des votants au référendum de 2016, devient effectif dans la nuit du 30 janvier au 1er février 2020, engageant le royaume d’Elizabeth II sur une pente glissante avec une sortie du marché unique (à compter du 1er janvier 2021) et le retour de certains droits de douanes. Concomitamment, la pandémie de Covid-19 marque un second revers pour une économie britannique qui ne parvient pas à reprendre du poil de la bête.
les élections UK
Une assemblée fragmentée en trois blocs qui refusent des alliances
Succédant à Theresa May, l’homme hirsute prend les rênes du pouvoir le 23 janvier 2019, porté par 13 966 454 votants. Depuis, trois ministres lui ont succédé en moins de cinq ans : Liz Truss, qui aura démissionné après un mois et demi à la tête du gouvernement, Rishi Sunak, plus jeune Premier ministre de l’histoire britannique et enfin Keir Starmer, qui a récemment fait basculer la House of Commons du côté travailliste.
Son arrivée au pouvoir fait suite à la dissolution du Parlement par Rishi Sunak, ce dernier constatant une baisse de popularité de son parti, ainsi que de sa personne. En effet, le 24 juin 2024, 59% du panel de répondants interrogés pour YouGov exprimaient un avis défavorable à son égard. Le mécontentement s’est aussi immiscé dans les urnes, comme le montre les résultats des élections locales qui donnent vainqueurs les travaillistes, passant devant les conservateurs dans des fiefs pourtant acquis traditionnellement, à l’image de la ville de Basildon (comté d’Essex). Un désaveu populaire qui a par conséquent conduit Sunak à invoquer des élections générales quelque peu anticipées.
Et cela, pour quels résultats des courses ?
- Le taux de participation s’établit à 59,75% avec 28 805 931 votants.
- Les travaillistes de Keir Starmer remportent 411 sièges des 650 (+ 209) en récoltant 33,69% des suffrages exprimés. Donnés gagnants, ils redeviennent le parti majoritaire de l’assemblée après 14 ans de déroute.
- Les conservateurs de Rishi Sunak perdent 244 sièges et en occupent désormais 121, alors qu’ils ont été soutenus par 23,70% des votants. Au cours de la campagne, de nombreux observateurs politiques soulignent l’absence de conviction de l’ex-Premier ministre, déjà (ab)battu. Le 5 au soir, au cours d’un discours devant le 10, Downing Street, il annonce qu’il quittera son poste de tête du parti lorsque “tout sera en place pour désigner [s]on successeur”.
- Nigel Farage et son parti Reform UK signent leur entrée au Parlement et s’assoient sur 5 sièges, portés par près de 14% des voix.
- Les Lib dem de Eid Davey gagnent 72 sièges (+ 61) pour 12,22% de la masse de votants.
- Les Verts prennent 4 places dans la chambre des communes, pour 6,74% des suffrages.
- Enfin, le parti national écossais essuie lui aussi une défaite en ne se voyant attribuer que 9 sièges (- 39), soutenu par 2,52% des votants.
La chambre est donc rouge, les conservateurs ayant été reniés après cinq années de marasme politique et économique. Keir Starmer, grand vainqueur de ce scrutin, s’installe donc au 10, Downing Street. Quelles sont les ambitions économiques de l’homme de 61 ans ?
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Quel est le programme économique de Keir Starmer ?
Keir Starmer, en exercice depuis le 5 juillet 2024, entend faire souffler sur le pays un vent de changement, conformément à ce que son slogan laconique exprime sobrement.
Un changement politique d’abord, pour apaiser les marchés et les investisseurs au sujet de l’instabilité politique qui caractérise le régime britannique depuis près d’une demie-décennie. Un changement économique ensuite, soutenu par un élan de réforme. En premier lieu, Starmer propose de rétablir la stabilité économique avec des règles strictes au sujet de la dépense publique. L’objectif est pour les travaillistes d’assurer un maintien de la croissance, de contenir les taxes sur les ménages à faible revenu, de lutter contre l’inflation, cela afin de restaurer la confiance économique dans le Royaume-Uni, confiance durablement érodée par l’ère post-Brexit. Au sujet de la fiscalité, le Labour Party inclut en particulier un verrou fiscal ayant pour objectif de garantir que les taux de l’impôt sur le revenu, l’assurance nationale ou la TVA (Value Added Tax, VAT) ne seront pas augmentés.
De plus, un élément clé du programme travailliste est la création d’un National Wealth Fund, un fonds national doté à hauteur d’1,8 milliards de livres et destiné à investir dans les industries d’avenir ainsi qu’à reconstituer un tissu industriel en délitement “depuis 14 ans”. Dans le cadre de son Green Prosperity Plan, les travaillistes souhaitent l’établissement de la Great British Energy, entreprise publique dédiée à la production d’énergie propre. Cette initiative vise en particulier à réduire les factures énergétiques des ménages et à renforcer la sécurité énergétique du pays. Financé par une taxe exceptionnelle sur les profits des grandes entreprises pétrolières et gazières, le Labour Party porte le projet d’une redistribution des richesses vers les infrastructures nécessaires au développement d’une économie verte.
Starmer prévoit également un investissement massif dans les infrastructures avec la construction de 1,5 million de nouveaux logements simultanément d’une réforme des règles de planification pour faciliter le développement de projets d’infrastructures publics à l’instar des chemins de fer ou des laboratoires. Un plan décennal pour les infrastructures est prévu, ce afin d’assurer une croissance soutenue et une modernisation des équipements du pays.
En matière d’emploi et de compétences, le parti travailliste s’est engagé à créer 650 000 emplois dans les industries d’avenir. Des réformes du marché du travail ont par ailleurs été annoncées, y compris une nouvelle offre de garde d’enfants pour encourager les parents à retourner au travail, ainsi qu’un plan pour améliorer la santé mentale et physique des travailleurs afin de les aider à rester actifs et productifs. Le travail comme moteur d’une société donc.
Ainsi, bien que les promesses n’engagent que ceux qui les croient et que le temps est seul tributaire de l’exécution de ces mesures, le programme économique de Starmer ambitionne clairement une transformation exhaustive de l’économie britannique par une promotion de la croissance durable et de la justice sociale, tout en mettant l’accent sur la question de la sécurité. Une attention toute particulière est portée sur les infrastructures et la transition écologique.
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Quelles réactions des marchés ?
Afin de juger de l’état de santé de l’économie britannique, il est possible de se pencher sur deux indicateurs : d’une part, le FTSE 100 et d’autre part, le FTSE 250. Le premier est composé de 81% des valeurs qui sont cotées à la London Stock Exchange (LSE), célèbre place boursière britannique.
Sa limite inhérente est sa forte exposition à l’international, en cela qu’il est formé d’un grand nombre de multinationales. Par conséquent, il ne prend pas correctement le poul de l’économie nationale du Royaume-Uni. Le FTSE 250 est pour sa part constitué de 250 valeurs dont certaines reflétant davantage l’état de santé du Royaume-Uni.
En prenant en compte ce second indice, après l’annonce de la dissolution de la chambre des communes, il tend à fluctuer entre 20 100 et 20 940 livres sterling. Puis, l’annonce des résultats le 5 juillet n’entraîne pas de mouvement inverse à la croissance débutée deux jours plus tôt. Le FTSE 250 va même passer la barre des 21 000 pour venir se loger près des 21 200 livres.
Ainsi, les marchés n’ont pas pris la victoire écrasante des travaillistes comme un mauvais signal. La campagne a été propice à une relative volatilité qui aura vite été oubliée. Par ailleurs, les données macroéconomiques de mai soutiennent la hausse du cours : au-dessus du consensus, le Produit Intérieur Brut (PIB) sur le mois de mai augmente de 0,4% tandis que l’inflation est de 2%.
Le rendement des obligations britanniques sur 10 ans n’indique pas de défiance prononcée des investisseurs vis-à-vis du programme travailliste ; à l’annonce de l’organisation des élections générales, le taux grimpe de 4,14 à 4,41%. Puis, il fluctue et rejoint aujourd’hui les 4,06%, ne traduisant pas un sentiment de crainte sur les marchés.
Enfin, la livre sterling bénéficie d’un concours de circonstances qui lui est favorable au change, face au dollar. La perspective d’une baisse des taux par la Fed à l’horizon du mois de septembre ainsi que la respiration politique que permettent les résultats des élections sont deux facteurs qui viennent attiser l’appréciation de la livre.
Ainsi, la victoire des travaillistes au Royaume-Uni marque un tournant politique majeur après des années de domination conservatrice. Keir Starmer, nouveau Premier ministre, hérite d’un pays marqué par des problématiques économiques et sociales que son programme ambitieux entend résoudre. Ce dernier vise ainsi à stabiliser l’économie, à restaurer la confiance des partenaires commerciaux et des investisseurs et à promouvoir une croissance durable.
Les réactions des marchés, notamment la performance positive du FTSE 250, indiquent une réception favorable du nouveau gouvernement. Cependant, la mise en œuvre des réformes sera cruciale pour mesurer l’impact réel de cette transition politique et économique. Les prochains mois seront déterminants pour observer comment ces initiatives se traduiront concrètement et si elles réussiront à redynamiser une économie britannique souffreteuse, tentant tant bien que mal de réparer les pots cassés par le Brexit.
Samuel Brel
Auteur
Convaincu de l'importance de démocratiser la pensée économique, Samuel rédige depuis deux ans une newsletter quotidienne pour ouvrir les esprits aux enjeux actuels.
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