CHRONIQUES

Retrait de Joe Biden : une évidence qui finit par s'imposer… à quel prix ?

 

Il y a une vingtaine de jours, à la suite du premier débat pour les élections présidentielles américaines qui s’est tenu le 27 juin dernier, nous avions évoqué dans une première chronique dédiée à ce sujet la vélocité de la popularité de Donald Trump face à un candidat démocrate ayant de nombreuses absences, aux airs parfois amorphes et ne brillant pas de vivacité. Fustigé pour ses erreurs à répétition et poussé par les siens hors de la course électorale, Joe Biden a fini par accepter son sort et a annoncé son retrait dimanche 21 juillet à 19h46 (heure française) dans une lettre adressée aux Américains sur le réseau social X (ex-Twitter). Anatomie d’une chute.

Joseph R. Biden Jr est donc désormais hors course, suscitant l’enthousiasme des élus et des partisans démocrates qui pour certains sont allés jusqu’à faire le déplacement jusque devant les jardins de la Maison Blanche pour exprimer leur satisfaction à la suite de cette décision historique ainsi que pour remercier le président de 81 ans, en exercice depuis le 3 novembre 2020.

Ainsi, dans une courte adresse écrite, après avoir vanter quelques mérites de son mandat, le locataire de la Maison Blanche arrive à la conclusion suivante : “[…] I believe it is in the best interest of my party and the country for me to stand down and to focus solely on fulfilling my duties as President for the remainder of my term.” Une décision raisonnée et accueillie favorablement par les Démocrates, symboliquement éloignée du blocage politique qu’avait causé l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021 par des partisans du président sortant Donald Trump.

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Une issue évidente pour Joe Biden, dont le temps comme candidat était compté

Alors que Joe Biden avait plusieurs fois tenté d’apparaître comme le rempart insurmontable pour empêcher le tempétueux Donald Trump de s’asseoir une fois de plus dans le bureau ovale, son comportement lacunaire a systématiquement renforcé la position de son adversaire. Au cours d’un débat télévisé le 27 juin sur la chaîne CNN, les craintes et les doutes des membres de son camp et les espérances de ses opposants se confirment : il bafoue, confond et se confond dans des moments d’absence capturés en direct. Sa candidature a alors déjà un pied dans la tombe, les sondages explosant à la hausse en faveur du candidat républicain, reconduit par son parti. L’indice “PRITUS4T” de Bloomberg est alors éloquent : au cours du débat, la côte de Trump grimpe, explose, enterre son concurrent démocrate pour finalement obtenir une avance de 35 points devant lui.

Une stratégie logique aurait été alors de rattraper cette bourde médiatique en organisant des discours ou des meetings politiques au cours desquelles Joe Biden aurait l’occasion de redorer son blason, de s’afficher comme un candidat solide et en bonne santé, apte à diriger en fin de compte. Néanmoins, ses apparitions ont laissé s’évaporer les bribes d’espoir qui demeuraient : multipliant les erreurs, il confond successivement le président ukrainien Volodymyr Zelensky avec le dirigeant russe Vladimir Poutine puis sa vice-présidente Kamala Harris devient le fameux “vice-président Trump”. Outre cette confusion amnésique loin d’être nouvelle, en témoigne le conflit russo-ukrainien assimilé à la guerre en Irak ou Emmanuel Macron qui se voit affubler du patronyme Mitterrand, les erreurs statistiques et numériques fleurissent à souhait.

Au lendemain du débat de fin juin, Joe Biden s’est lancé dans une nouvelle campagne visant à récolter l’adhésion de ses donateurs, en proie aux doutes suite à sa performance calamiteuse. Car les donateurs, sorte de baromètre attestant de la viabilité d’une candidature, ont commencé à manifester des signes francs d’hésitation. Et récemment, ces contributions financières, essentielles pour mener à bien une campagne lorsqu’on ne dispose pas de fonds permettant l’autofinancement, ont montré une tendance à la baisse. Concomitamment de ce désengagement financier, des appels discrets mais insistants de caciques du parti démocrate ont commencé à s’ébruiter successivement dans les sphères médiatiques puis naturellement publiques. Ces cadres de la politique, conscients des enjeux cruciaux de l’élection à venir, ont ainsi plaidé pour un changement de cap, afin de faire émerger une figure véritablement capable de déstabiliser la ferme position dans laquelle Donald Trump se trouve.

En outre, il y a quelques jours, alors que son acuité mentale et sa condition physique sont questionnées, il contracte le coronavirus, apportant de l’eau au moulin de ses détracteurs au sujet de sa capacité à briguer un second mandat, si ce n’est même à finir sa mission présidentielle. Ses absences se conjuguent donc à une faiblesse physique qui l’a écarté des estrades un temps. Bien que le risque sanitaire soit moindre comparé à celui des années 2020-2021, cette nouvelle vient asséner un coup de massue au camp républicain, isolant son candidat face à un Donald Trump qui bénéficie d’un battage médiatique inédit.

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Un candidat élevé au rang de figure christique face à une déchéance individuelle

Alors qu’il berçait la foule de ses habituelles envolées populistes au cours d’un rassemblement politique en Pennsylvanie le 13 juillet, Donald Trump sent inopinément une douleur aiguë à son oreille gauche. Il se baisse alors rapidement derrière son pupitre, réagissant par réflexe à la cause de sa blessure : un tireur embusqué sur un toit d’entrepôt situé près du lieu du meeting a pris pour cible le candidat républicain. Rapidement neutralisé, cet assaillant a tout de même permis à Trump de réaliser une des images les plus marquantes de la campagne : lui, ceint par une horde d’agents des services spéciaux, l’oreille gauche en hémorragie, se redressant et levant le poing vers le ciel tout en haranguant vigoureusement la foule, tout miraculé qu’il vient de devenir. À cet instant, l’opinion publique retiendra de lui l’image d’un martyr. Cet événement aura pour conséquence de renforcer sa position, permettant une mobilisation plus intense encore de ses partisans ainsi qu’un amplification de sa présence médiatique pour des raisons n’ayant pas attrait à son programme politique.

Dans la foulée de la vague d’exposition médiatique dont il a joui, Donald Trump s’est vu adouber par le camp républicain et a annoncé mener sa campagne de front avec J.D. Vance, celui qui l’avait à plusieurs reprises qualifié de noms d’oiseaux peu gratifiants. Malgré tout, Trump consolide sa mainmise sur la doxa républicaine. De surcroît, sa récente évocation sur X de sa relation avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky, bien que complexe et controversée, démontre sa capacité à manœuvrer sur la scène internationale, ajoutant une énième couche de crédibilité à ses ambitions politiques. Donald Trump continue sur la voie d’une stratégie qui séduit, convainc et le renforce : en utilisant les attaques à son égard, il se positionne comme une victime d’un système corrompu, renforçant ainsi sa base électorale déjà fervente. Face à cette énergie grandissante qui continue sa progression, Joe Biden semble avoir pris une sage décision en se désengageant de la campagne, laissant la place à une opposition plus robuste, inflexible, potente, bien que son choix soit historique.

Le dernier retrait d’un président en exercice en vue de sa réélection remonte à plus de 55 ans en arrière et pour des raisons tout à fait distinctes. En 1968, Lyndon B. Johnson avait décidé de ne pas se représenter en raison de l’impopularité croissante de la guerre du Vietnam. Ainsi, loin d’être dû à des raisons inhérentes à son état de santé, Johnson écoutait simplement l’opinion publique. Joe Biden, pour sa part, se retire car il est mis en cause sur ses propres aptitudes à diriger, ses apparitions en public teintées de gaffes et de lapsus n’étant que des arguments supplémentaires ayant in fine conduit à son annonce de dimanche soir.

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Le choix d’un retrait pose la question de l’héritier… ou de l’héritière

Avec le retrait de Biden, la question de son successeur devient primordiale. Le choix de l’évidence s’est rapidement porté sur Kamala Harris, vice-présidente soutenue par le candidat renonçant. Cependant, ce scénario soulève des questions sur l’immobilisme politique potentiel. Harris, bien que bénéficiant du soutien de nombreux électeurs démocrates, doit encore prouver sa capacité à rassembler et à gouverner de manière efficace. Son parcours, caractérisé par certaines controverses, la place comme une figure parfois contestée. Ses critiques soulignent une carrière marquée par des positions modérées et une approche prudente des réformes, ce qui pourrait limiter l’enthousiasme des électeurs progressistes. En tant que vice-présidente, Harris a souvent été perçue comme hésitante à prendre des positions fermes sur des questions clés, préférant une approche consensuelle qui, bien que pragmatique, pourrait ne pas suffire à mobiliser une base démocrate avide de changement.

Nonobstant, elle est rapidement parvenue à convaincre les financeurs qui en 24h ont versé plus de 90 millions de dollars, constituant un bloc solide appuyant la candidature de l’actuel Vice de POTUS. Par ailleurs, elle a récolté le soutien de Nancy Pelosi, ancienne présidente de la Chambre des représentants à deux reprises. Les réactions des républicains sont naturellement pamphlétaires, mais cela ne fait que renforcer son image de successeure naturelle. D’autant plus que ses éventuels concurrents se sont pour partie rallier à sa candidature. Ce mardi matin, elle aurait récolté 2 668 voix parmi les délégués des démocrates, qui sont au nombre de 3 937 au sein de la Democratic National Committee. Malgré les polémiques, elle semble être celle qui reprendra définitivement le flambeau pour la course électorale. La Convention du DNC qui se tiendra du 19 au 22 août apportera une confirmation, bien que des voix s’élèvent afin d’organiser un vote de confiance anticipé, ce afin de mener une campagne dans des délais déjà bien resserrés.

En outre, le choix du vice-président devient également crucial pour apporter une complétude à l’image de Kamala Harris. Un colistier avec une forte présence politique et une expérience substantielle pourrait rassurer les électeurs et les donateurs qui doutent encore. Les noms évoqués incluent des figures établies du parti, capables de compléter les compétences de Harris et d’apporter une profondeur stratégique à la campagne. Des personnalités telles que Pete Buttigieg, actuellement secrétaire aux Transports, Andy Beshear, gouverneur du Kentucky, ou encore Josh Shapiro, gouverneur de Pennsylvanie, sont souvent citées comme des choix potentiels pour renforcer une candidature Harris. Des rumeurs évoquent par ailleurs le nom d’Eric Holder, ancien procureur général des États-Unis, bien que le camp Harris et les proches de Holder aient tous deux décliné les questions des sources journalistiques.

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Comment les marchés ont vécu cet événement quelque peu attendu ?

Ce revirement politique, attendu par certains depuis un bon moment, laisse penser que les cartes sont à nouveau rebattues à quelques semaines de la dernière ligne droite. Cependant, en ce que l’événement constitue une nouvelle information en soi susceptible d’impacter l’économie réelle à terme (de part la probabilité de voir D.Trump ou. K.Harris appliquer leur programme), les marchés financiers ont logiquement intégré la nouvelle dans les consensus de prix de plusieurs actifs.

Commençons par le principal intéressé : le marché américain, dont l’indice S&P500 est considéré comme le meilleur proxy. Seul hic, la news est tombée dimanche dernier dans la soirée, heure à laquelle les marchés sont fermés. C’était donc l’ouverture des marchés de lundi matin qu’il fallait suivre. Les faits sont alors les suivants : après avoir clôturé en fin de semaine dernière à 5 505 points, l’indice s’ouvre sur un gap haussier pour dépasser les 5 550 points dans les minutes suivant la reprise de la cotation. Un léger rebond donc, d’une envergure d’un peu moins d’un pourcent. Finalement, l’indice S&P500 termine la journée sur une performance de 1,1% relativement au niveau de clôture du vendredi 19 juillet. Concrètement, ce rebond manque de force pour considérer ce revirement politique comme un game changer pour les marchés et paraît davantage être un « non-évènement » à leur sens, signe que la victoire de D.Trump semble déjà actée, peu importe le candidat qui tentera de s’opposer à lui.

Source : TradingView

En revanche, l’événement a eu beaucoup plus d’impact sur l’écosystème des crypto actifs, à l’instar du Bitcoin dont le cours a chuté de 2,32% dans les 30 minutes suivant la nouvelle, passant de 67 400$ à 65 800$ pendant un court instant. La raison ? L’abandon de Biden a ouvert la place à un autre démocrate, qui pourrait être plus crédible pour battre Trump, considéré comme le candidat « pro-crypto » de cette élection. Pourtant, l’inquiétude a été de courte durée puisque dans la foulée, Bitcoin reprend du poil de la bête et termine la journée de dimanche sur un upside positif de 1,5%, au-dessus des 68 000$. La peur a donc été rapidement achetée…

Source : TradingView

Notre enseignement « marché » est donc le suivant : les prix actuels semblent refléter le fait qu’une victoire de Trump a été actée, et ce d’autant plus après sa tentative d’assassinat avortée il y a quelques jours, lui ayant conféré un statut presque christique aux yeux des américains.

Samuel Brel

Samuel Brel

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Convaincu de l'importance de démocratiser la pensée économique, Samuel rédige depuis deux ans une newsletter quotidienne pour ouvrir les esprits aux enjeux actuels.

Alliant conviction et passion, il vous propose chaque semaine la Lettre Finneko et notre Chronique hebdomadaire, pour suivre les événements influençant les investissements.

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