CHRONIQUES
Canal de Suez : le conflit qui rebat les cartes du commerce mondial
A la suite du conflit qui oppose Israël et le Hamas depuis le 7 octobre 2023, le souffle de la discorde agit sur les cendres de la haine, et les conflits au Proche-Orient se sont ravivés. Ainsi, en soutien au Hamas, les rebelles chiites Houthis ont pris d’assaut la mer Rouge et attaqué plusieurs navires commerciaux, suscitant la panique chez les transporteurs.
LE CANAL DE SUEZ
Point introductif
Le canal de Suez est un passage maritime des plus époustouflants : en 2020, alors que le monde entier était à l’arrêt, ce ne sont pas moins de 51,5 bateaux par jour qui transitaient par ce passage, élargi par des travaux de rénovation en 2015, le plaçant comme un parangon en la matière. Il se situe au sortir de la mer Rouge en direction de la Méditerranée, adossé à l’Egypte. Ce passage maritime de 195 kilomètres est un centre névralgique du commerce mondial, faisant la transition entre le continent asiatique, le continent européen, et parfois le continent nord-américain. Ce sont 8% des marchandises acheminés par porte-conteneurs qui empruntent le chemin du canal de Suez. Ainsi, il joue un rôle fondamental dans les échanges internationaux et constitue une manne financière conséquente pour l’Egypte.
Les offensives commises par les rebelles Houthis ne sont pas le fruit d’un réveil à l’issue d’une hibernation millénaire. Depuis l’été 2014, le Yémen a été déchiré par une guerre civile opposant le gouvernement d’Abdrabbo Mansour Hadi et les groupes rattachés à l’ancien président démis de ses fonctions Ali Abdallah Saleh. Les Houthis se sont rangés du côté de Saleh, portés par une volonté de reconnaissance par l’autorité politique sur les plans religieux, économiques et géographiques. Dans ce tableau sanglant, l’Arabie Saoudite s’est affirmée comme soutien du camp du président Hadi et l’Iran a tendu la main aux Houthis et aux pro-Saleh, ces deux derniers groupes formant en juillet 2016 le Conseil national suprême, organisation politique non reconnue sur la scène internationale. En décembre 2023, un cessez-le-feu est signé entre les deux parties belligérantes, laissant penser que l’instauration d’une paix relative dans la région pouvait s’installer.
Néanmoins, comme évoqué précédemment le conflit israélo-palestinien a remis le feu au poudre et en signe de solidarité envers le Hamas, les Houthis ont multiplé les attaques contre les navires transitant par le canal de Suez. Cet événement éminemment géopolitique a de multiples conséquences. Hissons la grand-voile et partons à la découverte des intimes intersections entre conflits géopolitiques régionaux et commerce international.
Le CANAL DE SUEZ
Des attaques aux répercussions multiples
Les conséquences économiques de ces affrontements résonnent de cette artère maritime stratégique qu’est le Canal du Suez à l’échelle internationale, alors que le fret mondial a diminué de 40% depuis le début des attaques en mer Rouge.
Entre craintes des producteurs et désengagement des transporteurs.
Les risques encourus à emprunter le Canal de Suez afin de transporter des marchandises refroidissent les producteurs comme les transporteurs. D’une part, l’éventualité d’une attaque entraîne de potentielles pertes matérielles conséquentes pour les producteurs, et les coûts assurantiels deviennent trop importants. Ainsi, pour prévenir le danger, les transporteurs proposent des trajets alternatifs, notamment un contournement du continent africain afin de transiter par le Cap de Bonne Espérance. Mais ce changement d’itinéraire est compensé par une augmentation du temps de transport liée à une hausse du coût : à titre d’exemple, alors qu’un Londres-Golfe Persique s’effectue en 14 jours en passant par le canal de Suez, il en faut 24 par le Cap de Bonne Espérance. Au-delà du coût des transports, ces mutations véloces entraînent une augmentation des frais logistiques, le contexte soumis aux incertitudes causant souvent des retards sur les programmations initiales. De ce fait, les coûts augmentent pour les sociétés clientes des transporteurs, avec une répercussion sur le prix des produits adressés aux consommateurs finaux. Ainsi, du risque géopolitique découle un risque financier, notamment pour les particuliers.
Et les marchés financiers ?
Les transporteurs sont soumis à une variabilité de l’agressivité des rebelles Houthis, qui a pour conséquence une stratégie en dent de scie : on passe, on ne passe plus. Ainsi, la société de transport de marchandises marseillaise CMA-CGM se mouille parfois à aller défier le canal, et un autre fois tente de noyer le poisson en le contournant, tout comme les armateurs danois Maersk et allemand Hapag-Lloyd. Les conséquences en Bourse sont quantifiables et peuvent au premier abord être paradoxales. En effet, les titres des sociétés danoises et allemandes ont eu tendance à augmenter depuis le début des conflits en mer Rouge. La raison de ce gain réside dans l’augmentation du taux de fret, qui a une incidence directe sur le coût de transport. Et si le coût augmente, l’entreprise peut éventuellement encaisser plus de bénéfices, dans le cas où la demande reste stable. Or, c’est ici le cas, les producteurs ayant besoin d’exécuter leurs contrats et donc de faire appel, quoi qu’il en coûte, aux transporteurs. Tout ceci constitue un message finalement positif pour l’investisseur, les valeurs de ces entreprises de transport maritime ayant tendance à augmenter sur les marchés.
Les ports en pâtissent.
Les ports européens, premiers concernés par la baisse du fret maritime par le canal du Suez, subissent de plein fouet les changements de cap des transporteurs. Ainsi, les activités baissent, entre 10 et 15% pour Marseille et à hauteur de 33% pour le port de Pirée.
L’or noir, au coeur des tensions.
Les attaques des rebelles Houthis ont également des conséquences au niveau de la valeur du baril de Brent, qui représente la valeur financière d’un baril de pétrole de 159 litres. Le cours du baril a en effet augmenté, notamment en raison de l’allongement des délais de transports. En effet, tout comme une voiture qui roule sur une plus longue distance demande plus d’énergie, un porte-conteneur qui double sa distance demande davantage de pétrole pour avancer. En conséquence de quoi, la demande augmente fortement pour une raison conjoncturelle : le terme de choc de demande est alors employé. La suite logique sur le marché à court terme est une augmentation du prix du produit, en l’occurrence le pétrole, pour compenser une demande croissante qui peut avoir des difficultés à rencontrer son offre. De cette manière, alors que le 19 décembre, les Houthis se prononçaient en faveur de la continuation des assauts, le cours du baril augmentait de plus d’1%.
Conséquences économiques sur l’économie égyptienne.
Le canal de Suez, un bastion économique essentiel pour l’Égypte, générait en 2014 des revenus substantiels de 5,5 milliards de dollars, représentant 1,9 % du produit intérieur brut (PIB) national. Les investissements massifs entrepris pour accroître ces revenus, de 5,3 milliards de dollars en 2015 à une projection ambitieuse de 13,2 milliards en 2023, ont été largement financés par la population égyptienne elle-même, qui a souscrit à hauteur de 88 %. De plus, le canal du Suez est un bassin d’emplois avec plus de 2 000 000 actifs concernés directement ou indirectement par l’activité du canal. Ainsi, sur le plan économique, l’abandon du canal du Suez comme lieu de passage privilégié à des conséquences significatives tant sur le plan de la production intérieure que sur le marché du travail.
Quels gagnants dans ce cadre ?
L’Inde, dans ce contexte géopolitique de tensions et suite à des annonces au cours du dernier sommet du G20, développe un corridor de transports maritime et ferroviaire visant à tisser des liens économiques stratégiques entre le Proche-Orient, l’Europe et l’Inde. Cette initiative reflète une concurrence manifeste entre l’Inde et la Chine forte de ses nouvelles routes de la soie, nous en parlions la semaine passée. Des secteurs clés, tels que le numérique, la logistique et l’énergie, avec un accent particulier sur le potentiel de l’hydrogène, sont au coeur de ces dynamiques. L’Inde s’érige ainsi en acteur déterminé, cherchant à façonner une présence significative dans le paysage économique mondial en exploitant des axes géographiques majeurs.
Ainsi, les attaques des rebelles Houthis sont loin d’être dénuées d’implications économiques et financières et peuvent tout à fait servir un autre projet se développant à l’abri des soubresauts.
Samuel Brel
Auteur
Convaincu de l'importance de démocratiser la pensée économique, Samuel rédige depuis deux ans une newsletter quotidienne pour ouvrir les esprits aux enjeux actuels.
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