CHRONIQUES

Silence, ça pousse… Le marché américain du cannabis en mutation

 

« No one should be in jail just for using or possessing marijuana ». Par ces mots, le 6 octobre 2022, le président américain Joseph Biden commence un discours en passe de marquer un tournant dans la politique fédérale américaine en matière de drogues. Le chef d’Etat poursuit par l’annonce d’une grâce présidentielle valable pour l’ensemble des individus arrêtés pour simple possession de cannabis au niveau fédéral. Ce changement de pratiques entend alors conduire les gouverneurs d’Etat les plus réticents à faire de même. Dans le même temps, il déclare entamer une réflexion autour de la reclassification de la marijuana, alors située à l’échelon I.

le cannabis

Point introductif

Un peu plus d’une année et demi ont passé, et le 16 mai 2024, la procédure d’examen a officiellement été lancée auprès de la Drug Enforcement Administration (DEA), service du ministère de la Justice. Un amendement du Controlled Substance Act de 1970 serait alors prononcé, afin de repositionner la mariajuana a un échelon de dangerosité moindre. L’échelonnement se décompose en cinq strates parmi lesquelles la plus haute (Schedule 1) englobe l’ensemble des substances provoquant une forte dépendance et dont l’usage n’est pas autorisé dans le domaine médical (« Schedule I drugs, substances, or chemicals are defined as drugs with no currently accepted medical use and a high potential for abuse. »). La moins dangereuse (Schedule 5) recouvre toutes substances présentant de faible risque d’addiction ainsi que de minces quantités de narcotiques. L’échelon III souligne dans un premier temps la moindre dépendance causée par la consommation de drogues de son acabit, avant de souligner sa plus faible dangerosité comparée aux deux premières catégories.

Cette mutation juridique pose immédiatement la question des raisons la motivant. En l’occurrence, les Etats-Unis sont en proie à un mal qui s’agrippe farouchement aux américains. En 2023, ce sont plus de 107 000 personnes qui ont trouvé la mort pour des causes liées à la consommation de drogue. Bien que cette réalité traduise une baisse de 3% des victimes comparé à 2022, elle n’occulte pas la croissance du nombre de décès chaque année depuis 2018. Ainsi, de telle sorte à mener une politique de santé publique qui contrôle les paramètres de problématiques majeures, l’exécutif américain tend à vouloir lever le voile autour de la drogue. Ainsi, déplacer les substances d’objets au cœur de logiques de trafic tout aussi opaques qu’incontrôlables à substrat connu, compris et contrôlé participe d’une décriminalisation du secteur. Au-delà du fait que cette action présente des vertus bienfaitrices pour une population aux griffes de la drogue, il y a un intérêt économique réel à s’impliquer sur un marché lucratif.

le cannabis

Quelle est la situation aux Etats-Unis au sujet du cannabis en mai 2024 ?

En 2012, le Colorado ouvre la voie de la légalisation complète du cannabis, entendu par “complète” que l’usage récréatif est autorisé. Plusieurs Etats vont lui emboîter le pas, tant et si bien que 24 l’ont rendu légal à ce jour, alors que 2 l’interdisent formellement. Entre ces deux extrêmes se situent les États ayant légalisé l’usage de la marijuana dans le cadre médical et ceux l’autorisant à la condition d’une faible teneur en tétrahydrocannabinol (THC).

Le pas en avant de Biden pour afficher le cannabis comme une substance psychotrope moins dangereuse est l’occasion d’ouvrir le champ à une dépénalisation qui tendrait la main à la légalisation. Comme évoqué plus haut, une légalisation favoriserait la décriminalisation d’un secteur dynamique, porté par une demande croissante : selon l’étude “Monitoring the Future” réalisée par l’université de Michigan, 43% des 5 000 jeunes interrogés à l’occasion déclarent avoir consommé du cannabis sur l’année écoulée, soit 14 points de plus qu’en 2011. Le niveau serait même le plus élevé depuis 1998.

Mais, qu’est-ce que le cannabis ? Autrement appelé marijuana, le chanvre est un genre de plantes à fleurs provenant initialement de l’Asie centrale et de l’Asie méridionale. Il peut être utilisé dans l’industrie textile ou encore pour de l’isolation thermique, et ne présente dans ce cas pas un caractère psychotrope. En revanche, l’usage récréatif suppose ce type d’effets, alors causés par la présence d’une molécule de delta-9-THC. Selon les chiffres de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), La plante à l’origine de la substance consommée est produite pour moitié au Maroc (35 000 tonnes en 2021), dans la région du Rif présentant des conditions météorologiques adéquates à la culture de plants de cannabis. Il est suivi par l’Afghanistan qui produirait 13 000 tonnes, l’Inde (10 000 tonnes), le Pakistan (7 000 tonnes) et le Mexique, fournisseur important des Etats-Unis. En tant que substance psychotrope, le cannabis peut être consommé de trois façons : sous forme d’herbes, sous forme de résine ou sous forme d’huile. Ces trois formats exigent en soi des techniques spécifiques de traitement.

le cannabis

Quelle réalité derrière la notion de « marché du cannabis » ?

Aux Etats-Unis, la légalisation progressive de la substance dans plusieurs Etats a suscité une augmentation de la demande (le nombre de consommateurs adultes a doublé entre 2014 et 2020). Cette hausse peut se compenser de deux façons : les producteurs peuvent la contrebalancer par une production répondant aux exigences de la demande, ou alors augmenter leur prix afin de diminuer l’accessibilité de leur produit. Dans notre cas, l’offre s’est adaptée sur le volet du volume. En outre, en améliorant son outil de production, elle a rationalisé ses coûts, favorisant un maintien des prix malgré le choc de demande. Tant et si bien qu’en 2020, selon le cabinet BDSA, le marché du cannabis valait 17,5 milliards de dollars, chiffre qui devrait grimper à 30 milliards en 2025.

Derrière ces chiffres, un vaste paysage entrepreneurial du cannabis est dominé par des acteurs qui avaient débuté sur le marché par une entrée sur le segment du cannabis médical. Puis, les règles s’assouplissant, ils se sont emparés d’un autre créneau : celui des individus majeurs ayant désormais le droit de consommer du cannabis dans un cadre récréatif. C’est notamment le cas de l’entreprise OrganiGram Holdings, fondée en 2013, ou encore Trulieve, née en septembre 1940. Ces deux exemples viennent être complétés par des sociétés bien installées sur le volet médical telles que Canopy Growth ou Curaleaf. La société Aurora Cannabis s’adresse pour sa part à une cible hybride, avec un aspect pharmaceutique et un autre de l’ordre de la consommation personnelle indépendante de tous besoins médicaux. Enfin, des entreprises comme Tilray ont une implantation plus internationale, avec des filiales en Océanie, en Amérique du Sud ou encore en Europe (Portugal, Allemagne).

La force de ces sociétés réside dans leur capacité à répondre à un besoin spécifique provoquant une sensation de relâchement, ayant ainsi un impact émotionnel sur les consommateurs. De plus, en agissant dans le cadre de la loi, elles participent à l’effort économique ainsi qu’à la richesse. Ainsi, le secteur serait pourvoyeur de plus de 440 000 postes “équivalents temps plein” (ETP) selon le 2024 Vangst Job Report, ce qui représente une croissance de 5% du nombre d’ETP sur l’année 2023. Leur enregistrement sur les registres des entreprises permet également de générer des revenus fiscaux, à l’instar de la Californie qui a perçue 350 millions de dollars de recettes fiscales sur le seul marché du cannabis en 2018. Cette régulation d’un marché précédemment illégal s’intègre également dans une logique de réduction de l’investissement des forces de l’ordre et des instances juridiques dans la lutte contre le trafic.

Enfin, de nouveaux marchés émergent, comme le tourisme du cannabis, nouvel eldorado pour les aficionados de chanvre, et la compétition entre les acteurs favorisent la R&D, propice à rendre les produits vendus plus sécurisés pour les consommateurs.

Cependant, comme évoqué précédemment, l’industrie du cannabis aux États-Unis fait face à des défis significatifs, principalement liés aux réglementations fédérales. La classification du cannabis comme substance de l’annexe I au niveau fédéral restreint les transactions bancaires et pose des limites au commerce interétatique, créant des obstacles pour les entreprises et les investisseurs. La question des services bancaires bénéficiant au secteur du cannabis a été récemment remise sur la table, ce afin de permettre aux acteurs de ce marché de développer leur activité, notamment par le biais d’emprunts susceptibles d’instaurer une logique d’investissement bénéfique au secteur. Néanmoins, depuis 2019, de tels textes de loi, déjà proposés maintes fois depuis 2019 (ex. : SAFE Banking Act), se sont heurtés aux portes du Sénat. En effet, les élus républicains s’opposent fermement à l’adoption d’une telle législation, alors que Janet Yellen, secrétaire du Trésor américain, s’est prononcée en faveur de cette innovation juridique.

Ainsi, le secteur du cannabis est en pleine émergence. Le passage d’un secteur illégal à un marché régulé est l’occasion pour pléthores acteurs de s’intégrer sur sa chaîne de valeurs (production des technologies agricoles, recherches en biotechnologie sur la substance, culture de plants, production de moyens de consommation, fermes biologiques, produits connexes…) et de bénéficier d’une demande qui ne cesse de croître. La main tendue par Joe Biden pour avancer vers la légalisation a été perçue comme un signal positif par le marché. Par conséquent, les cours des sociétés se sont redressées suite à l’annonce : par exemple, Tilray a gagné 11% (de 1,99 USD à 2,21) et Curaleaf grimpe de 5,8% (de 7,7 USD à 8,15).

Mais alors que cet effort de régulation infuse en Europe comme l’illustre l’Allemagne, il est capital de ne pas se laisser emporter par l’euphorie d’un marché croissant. En effet, cette substance est à l’origine de problèmes de dépendance majeurs. Une prévention éclairée doit donc permettre de responsabiliser les acteurs de ce marché, producteurs comme consommateurs. Ici, les pouvoirs publics demeurent alors tributaires d’une régulation du marché, pour des raisons sanitaires encore plus qu’économiques.

Avertissement : En France, le cannabis n’est pas légal, classé comme stupéfiant. La possession de substances cannabiques est un délit en vertu de l’article 3422-1 du Code de la santé. Le trafic est également condamné conformément à ce dont dispose l’article 222-37 du Code pénal.

Samuel Brel

Samuel Brel

Auteur

 

Convaincu de l'importance de démocratiser la pensée économique, Samuel rédige depuis deux ans une newsletter quotidienne pour ouvrir les esprits aux enjeux actuels.

Alliant conviction et passion, il vous propose chaque semaine la Lettre Finneko et notre Chronique hebdomadaire, pour suivre les événements influençant les investissements.

Le Viêtnam sera-t-il le nouvel eldorado du continent asiatique ?

Dans la continuité d’une précédente rubrique dédiée à l’analyse des émergents, cette semaine, nous avons décidé de nous intéresser à un pays rarement mis en avant, dans l’ombre de ses voisins régionaux tels que la Chine ou l’Inde. Pourtant, cette nation fait partie des économies les plus dynamiques de l’Asie du Sud-Est, cette véhémence économique étant le déterminant de l’émergence d’un pays qui fut en prise avec le fléau de la guerre jusqu’en 1975.

La macroéconomie comme facteur crucial dans une stratégie d’investissement : les Fintechs

Le secteur des FinTechs, bien qu’ayant le vent en poupe depuis quelques années en raison de sa forte croissance, est évoqué pour la première fois au cours des années 1950, avant de se démocratiser avec la généralisation de l’utilisation des cartes bancaires à partir de 1984.

Le marché des cryptomonnaies face aux récentes données économiques et au pivot attendu de la Fed

Le marché des cryptomonnaies, bien que particulier, reste soumis aux grandes règles de la finance et, surtout, à celles des marchés financiers. Ces marchés réagissent aux données économiques, aux régulations et aux politiques monétaires. C’est exactement ce qui nous intéresse aujourd’hui : quel impact les récents chiffres concernant l’inflation et le marché du travail peuvent-ils avoir sur le marché crypto ? En réalité, la question centrale est de savoir comment le marché réagira au tant attendu « pivot » de la Réserve fédérale (Fed), qui pourrait débuter lors du prochain FOMC (Federal Open Market Committee) ce mercredi 18 septembre.

Des fissures apparaissent dans la stratégie iranienne de « l’axe de la résistance »

Au cours des quatre décennies qui ont suivi sa révolution islamique, l’Iran a formé et soutenu un nombre croissant de forces combattantes alliées dans tout le Moyen-Orient. La Force Al-Qods, qui fait partie du Corps des gardiens de la révolution islamique (IRGC), sert de principal point de contact avec ces groupes, leur fournissant une formation, des armes et des fonds pour promouvoir les objectifs régionaux de l’Iran.

La crise au Moyen-Orient rapproche un peu plus Moscou de Téhéran

Le Moyen-Orient est de nouveau au centre de l’attention internationale, alors que les tensions entre Israël et l’Iran s’intensifient après l’assassinat du chef du Hamas Ismaïl Haniyeh à Téhéran. Et la Russie pourrait avoir un rôle ici. Décryptage.

Que sont les « crack spreads » sur le marché pétrolier ?

Dans l’industrie pétrolière, les cadres des raffineries sont principalement préoccupés par la couverture de la différence entre leurs coûts d’achat et les prix de vente de leurs produits. Les « crack spreads » sont des indicateurs clés sur le marché pétrolier, essentiels pour comprendre la rentabilité des raffineries et les dynamiques des prix des produits pétroliers. Décryptage.

Le rôle des raffineries privées chinoise sur le marché du pétrole brut sanctionné

L’an dernier, les raffineurs indépendants chinois, qu’on appelle les “les théières chinoises” ont amélioré leurs bénéfices en achetant à prix réduit du pétrole brut iranien et russe ainsi que des produits sanctionnés par l’Europe et les Etats-Unis, et délaissés par d’autres acheteurs. Cependant, les fluctuations des restrictions américaines ont fait grimper les prix sur le marché des bruts sanctionnés, ce qui pourrait rendre les marges bénéficiaires plus serrées pour les petits raffineurs cette année.

Le marché du gaz naturel liquéfié fragmenté par les perturbations en mer Rouge et au canal de Panama

Avec une demande mondiale en gaz naturel liquéfié (GNL) en forte croissance, tous les acteurs du secteur se mobilisent. Cette nouvelle réalité entraîne de nombreux défis dont des instabilités sur les routes maritimes.

Retrait de Joe Biden : une évidence qui finit par s’imposer… à quel prix ?

Il y a une vingtaine de jours, à la suite du premier débat pour les élections présidentielles américaines qui s’est tenu le 27 juin dernier, nous avions évoqué dans une première chronique dédiée à ce sujet la vélocité de la popularité de Donald Trump face à un candidat démocrate ayant de nombreuses absences, aux airs parfois amorphes et ne brillant pas de vivacité. Fustigé pour ses erreurs à répétition et poussé par les siens hors de la course électorale, Joe Biden a fini par accepter son sort et a annoncé son retrait dimanche 21 juillet à 19h46 (heure française) dans une lettre adressée aux Américains sur le réseau social X (ex-Twitter). Anatomie d’une chute.

L’avenir des importations de gaz de l’Union européenne

En seulement deux ans et demi, la structure et le volume des importations de gaz de l’Union européenne (UE) ont profondément changé. La Russie, qui était le principal fournisseur, a été largement écartée du mix énergétique, et les volumes d’importation ont diminué en raison de la baisse de la demande de gaz au sein de l’UE.

Disclaimer

Le Programme Finneko vous rappelle que l’ensemble du contenu proposé par nos équipes ne constitue en aucun cas un conseil en investissement. Finneko ne produit aucune recommandation d’achat, de vente ou de détention d’actifs. En outre, bien que nos travaux soient réalisés à partir d’informations fiables, ils ne sont pas exhaustifs et ne constituent pas une vérité absolue. Ainsi, et ce dans la continuité de l’Esprit Finneko, nous vous encourageons à approfondir les sujets traités afin de prendre les meilleures décisions, en pleine conscience des enjeux les sous-tendant. Plus encore, ayez à l’esprit d’une réalité de marché incontournable : les performances passées ne présagent pas des performances présentes ou futures. Les marchés financiers sont soumis à des fluctuations importantes dépendantes d’une multitude de facteurs que nous avons à coeur de vous exposer. Finneko décline donc toute forme de responsabilité quant aux conséquences découlant de l’utilisation et de l’interprétation des informations rendues disponibles par le biais de ses différentes offres.