CHRONIQUES

Le renouveau politique du Sénégal

 

Le 3 février dernier, alors que le globe évolue dans une année riche sur le plan électoral, le pays qui s’affirme comme un modèle démocratique chancelle. Le candidat anti-système Bassirou Diomaye Faye rafle la mise avec 54,28% des bulletins en sa faveur. Avant de se plonger dans le détail de son programme riche et ambitieux, explorons la situation économique d’un pays ayant des liens étroits avec Paris.

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Point introductif

Le président alors en exercice depuis 2012, Macky Sall, affirme dans son discours à la nation, le report des élections présidentielles qui devaient se tenir à compter du 24 février. Coup de tonnerre dans le pays, grondements à travers le monde, ce délai supplémentaire incertain, étant sine die, provoque de vives contestations sur l’ensemble du territoire. Elles sont réprimées dans la violence, mais finissent tout de même par obtenir gain de cause : un scrutin est organisé entre le 24 et le 31 mars, et des candidats alors rayés de la liste des personnes éligibles rejoignent la course à la présidence.

Avec ses allures de sprint, elle n’aura pas longtemps été soumise au suspens. Et conformément à ce que la mode veut – ce n’est pas Javier qui nous dira le contraire, le candidat anti-système Bassirou Diomaye Faye rafle la mise avec 54,28% des bulletins en sa faveur. Il investit donc le palais de la République à Dakar, et dans ses valises apportent quelques idées pour chambouler tout en finesse la 21e économie d’Afrique (chiffre de 2016). Entre autres convictions, il souhaite remettre au goût du jour la souveraineté économique de la nation, raffermir les industries existantes, lutter contre le chômage et faire de l’environnement une cause qui n’est pas seulement ornementale.

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Un pays puissant économiquement mais une nation exsangue

Entre 1960, année de l’accession du Sénégal à l’indépendance, et aujourd’hui, du chemin a été parcouru. Au début de la période, la nation ouest-africaine réalisait un Produit Intérieur Brut d’un milliard et des poussières (1960 : 1 003 692 370 de dollars américains courants). Puis, il a cru par à-coups, avec des hausses fulgurantes comme en 1975 où il gagne 34,8 points sur une année, en 2003 où ce sont 25,2% de plus qui viennent gonfler son PIB ou encore en 2021, avec 12,4 points supplémentaires. En 2014, Macky Sall affiche le Plan Sénégal Emergent qui est un Plan d’Actions Prioritaires (PAP), doté à hauteur de 9 686 milliards de francs CFA, soit 14,8 Mds d’euros. Il soutient notamment le secteur des industries ou des infrastructures pour parachever l’émergence du pays ainsi que le secteur agricole, pour tendre vers une culture intensive génératrice de richesses. Tout ce chemin parsemé de performances économiques en termes de production de richesses, mais également de déboires multiples (dont -10,2% en 2015) pour parvenir à un PIB en 2022 de 27 684 264 748 USD. Sur la même année, en comparaison, l’Egypte est à 476,7 milliards de dollars de PIB, suivi par le Nigeria et l’Afrique du Sud avec respectivement 472,6 milliards USD et 405,3 milliards USD.

Pourtant, malgré cette place loin des podiums, le Sénégal semble être soutenu fortement par la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International ou encore la France. En mai 2023, le FMI avait accordé à Dakar une aide de 1,7 milliards d’euros, dans l’objectif de réduire le poids de sa dette et de stabiliser sa gouvernance. Sa gouvernance ne pourrait tenir qu’à un fil, le sursaut provoqué par Macky Sall le rappelle, bien que les institutions républicaines aient tenu et que le pays ait traversé rapidement la tempête. Néanmoins, ce soutien pointe du doigt un sujet central : celui de la dette.

Entre 2011 et 2022, le poids de la dette dans le PIB sénégalais a grimpé de 32,88 points à 74,97%. Cette charge croissante pèse sur les capacités d’endettement d’un pays qui repose sur les financements externes et le FMI comme la Banque Mondiale se montrent circonspects en affirmant qu’un risque de surendettement modéré demeure. Nous sommes loin des 110% de la France certes, mais les capacités d’endettement du Sénégal ainsi que sa solvabilité ne sont pas similaires. Ce fardeau s’accompagne en 2022 d’une baisse des investissements directs étrangers (IDE) français, en diminution de 540 millions d’euros par rapport à 2021. La France investit grandement avec le Sénégal en raison de son passé les liant intrinsèquement : Dakar est le 3e client de Paris en Afrique Subsaharienne. Néanmoins, la balance est excédentaire pour la France : ce sont 91 millions d’euros du Sénégal qui s’oppose à 968 millions en 2022. Les produits alimentaires, et principalement laitiers, ainsi que les machines industrielles, les produits de la culture et de l’élevage (blé) et les produits pharmaceutiques composent 53% des exportations françaises en 2022. Néanmoins, en 2022, la Chine finit par davantage exporter que la France, confirmant son attrait pour le continent africain et nourrissant le mot-valise de Chinafrique.

Au sujet de son inflation, le Sénégal a relativement maîtrisé ses taux entre 0 et 3,5% (bien que plus de 2% soit depuis 2000, excepté à trois exceptions : entre 2007 et 2009 où les prix montent à près de 7 points puis descendent à -2 points ; en 2014 où la déflation revient, avec -1,04% ; enfin, en 2022, où l’inflation avoisine les 10%. En 2023, avec une accalmie mondiale, l’indice des prix à la consommation diminue de nouveau à 6,3 points. Toutefois, le prix de l’inflation demeure et la population sénégalaise reste particulièrement pauvre. L’Indice de Développement Humain (IDH), indicateur développé en partie par l’économiste indien Amartya Sen pour pallier aux limites du PIB comme indicateur d’épanouissement économique d’une nation, est de 0,512 pour le Sénégal en 2019, ce qui en fait le 168e pays sur 189. En outre, bien que le taux de pauvreté diminue entre 2011 et 2018, la population touchée augmente, passant de 5 832 008 habitants sous le seuil de pauvreté à 6 032 379. Pour le chômage, son taux est de 19,5% sur le troisième trimestre, soit une diminution de 3,4 points sur une année. Ce taux demeure particulièrement élevé en revanche, toujours plus haut que le niveau de 2016 à 16,6% de la population. Subséquemment, les jeunes sont particulièrement touchés par cette condition de mise à l’écart de l’emploi. Cela suscite de vives contestations et une volonté de quitter le territoire national afin de trouver un emploi dans d’autres pays. Une sorte de brain drain qui déstabilise une nation ayant grand besoin d’une souveraineté croissante, soutenue par une main-d’oeuvre qualifiée performante.

Ainsi, bien que des investissements soient engagés par le gouvernement et les institutions mondiales, le Sénégal souffre d’une structure endettée et appauvrie. Un souffle nouveau est-il l’occasion de raviver les braises du feu de la prospérité ?

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Un paysage d’entreprises qui s’ouvre à l’énergie

Après ce paysage macro, attardons-nous sur quelques secteurs du Sénégal. En 2016, l’industrie des services composait plus de 50% du PIB, en particulier grâce à des services de commerce, de transport ou encore de restauration. Suit ensuite le secteur secondaire avec 24% du PIB brigué, la marche étant close par le secteur primaire agricole, avec 17,2 points de PIB.

Dakar se repose sur des sociétés du domaine des télécommunications comme Sonatel qui affichait en 2022 une croissance de 10,5%. Le domaine de l’énergie est porté par la Société africaine du raffinage (SAR), créée en 1961 et longtemps fleuron de l’industrie sénégalaise. Cette entreprise d’hydrocarbures avait failli passer aux mains du spécialiste du crédit-bail Locafrique mais avait fini dans les bras de l’Etat et de sa holding Petrosen.

L’hydrocarbure est un chantier en cours pour le pays, la décennie passée ayant été mère de découvertes riches. De nombreux gisements exploitables ont été mis à jour et l’exploitation devrait débuter dans le courant de l’année 2024, alors que le président Bassirou Diomaye Faye met un point d’honneur à brandir le développement durable dans son discours politique.

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Quels chantiers et perspectives pour le Sénégal de Bassirou Diomaye Faye ?

Face aux défis environnementaux auxquels l’ensemble de la planète fait face, le Sénégal entreprend des mesures ambitieuses pour renforcer sa résilience et assurer sa souveraineté alimentaire et énergétique. En effet, le changement climatique a un effet non négligeable sur le pays : variations extrêmes de température, précipitations irrégulières engendrant tantôt sécheresse, tantôt inondations. Ces phénomènes contribuent à la dégradation des terres agricoles, confrontées à l’érosion et à la salinisation, ce qui nuit grandement à leur fertilité. Dans ce contexte, l’importance de l’agriculture pour l’économie sénégalaise se fait ressentir de façon aiguë, le pays étant un importateur net de produits alimentaires, comme nous l’avons vu précédemment avec l’exemple de la France.

Bassirou Diomaye Faye, affichant les leçons tirées de son expérience en zone rurale, souligne la nécessité cruciale de développer l’agriculture nationale pour tendre vers la souveraineté alimentaire. Pour ce faire, des stratégies sont envisagées, telles que la diversification des cultures, la mise en place d’un Observatoire du monde rural pour anticiper les catastrophes naturelles et la promotion de la consommation de produits locaux. Ces initiatives visent à adapter l’agriculture sénégalaise aux enjeux climatiques évoqués supra et à renforcer l’autosuffisance alimentaire de la nation.

La problématique environnementale s’étend également aux écosystèmes marins, confrontés à la pollution, à la surpêche, à l’acidification des océans et à l’élévation du niveau de la mer. Ces défis menacent la biodiversité marine et la sécurité alimentaire des communautés côtières, dépendantes de la pêche. Afin de préserver ces ressources vitales, le président propose des solutions innovantes : réserver une zone maritime aux pêcheurs artisanaux, créer des récifs artificiels et réexaminer les accords de pêche avec l’Union européenne, favorisant une exploitation plus durable des ressources halieutiques.

Enfin, sur le front énergétique, malgré la naissance d’une industrie pétrolière et gazière, le président s’engage à promouvoir les énergies renouvelables, conciliant développement économique et impératifs écologiques. Cette vision vise à renforcer l’indépendance énergétique du Sénégal tout en minimisant son empreinte carbone, illustrant un engagement vers un développement plus durable et respectueux de l’environnement. Cela n’occulte pas l’entrée du pays sur le scène internationale dans le champ des pays produits d’hydrocarbures (pétrole et gaz), avec deux gisements principaux dont un exploité par BP et l’autre par Woodside.

«L’Afrique en progrès» et la prospérité dont Bassirou Diomaye Faye fait ses horizons sont donc des mantras dont la réussite est conditionnée par le fait de répondre aux enjeux de souveraineté et de développement durable, sans que les deux ne soient antagoniques. Cela doit s’effectuer sans effrayer les investisseurs étrangers, dont la France. Le nouveau président a voulu réaffirmer la nécessité des participations de pays étrangers au dynamisme économique tout en affichant la volonté de revoir les contrats.

Enfin, un sujet central est celui de l’abandon du franc CFA comme monnaie nationale, avec le besoin de se désaliéner d’une monnaie considérée comme un héritage colonial. On retrouve du Javier dans tout cela, bien que comme pour ce dernier, la raison a accouru au galop : si transition il y a, elle sera d’abord concertée avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), fondée en mai 1975. D’autant plus que cette union avait espoir en le lancement d’une monnaie unique d’ici trois ans, l’Eco, projet monétaire de longue date. Néanmoins, les divergences internes fragilisent le processus de réalisation et le délai d’occurrence est déjà remis en cause.

Ainsi, le Sénégal a finalement réussi une transition politique dans une relative tranquillité. Bassirou Diomaye apporte un vent d’air frais au pays mais se retrouve pris en tenaille entre la dette et les conditions de vie des habitants du pays, conjuguées aux injonctions économique et environnementale de mieux faire pour soi tout en faisant mieux pour l’environnement.

Samuel Brel

Samuel Brel

Auteur

 

Convaincu de l'importance de démocratiser la pensée économique, Samuel rédige depuis deux ans une newsletter quotidienne pour ouvrir les esprits aux enjeux actuels.

Alliant conviction et passion, il vous propose chaque semaine la Lettre Finneko et notre Chronique hebdomadaire, pour suivre les événements influençant les investissements.

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