Le point marché

Le Yen et l’emploi américain font tituber les marchés

 

Fin de semaine turbulente sur les marchés, n’est-ce pas ? L’indice S&P500 perd près de 4% sur les seules journées de jeudi et de vendredi, et ça n’est presque rien à côté des -5,4% de Microsoft sur la semaine ou des -5,8% de Nvidia sur la même période… Et que dire du Russel 2000, l’indice américaine de référence pour « les petites et moyennes capitalisations », qui perd lui près de 8% en deux jours ! Lorsque tout s’effondre, c’est avec un regard « macro » qu’il faut observer la situation. Prêtons-nous à l’exercice ensemble.

YEN ET EMPLOI US

Le rebond du Yen fait plonger les marchés américains…

Oui, le premier « facteur explicatif » de ce saignement n’a rien d’américain (enfin presque). Depuis le début de l’année, nous avons à maintes reprises mis en lumière la situation japonaise plus qu’atypique. Pour rappel, le Japon a subi une très forte dépréciation du Yen (sa monnaie nationale) au cours des derniers trimestres, simplement car la Bank of Japan a maintenu des taux d’intérêt très bas afin de soutenir son économie (qui lutte structurellement contre la déflation) alors que la plupart des banquiers centraux ont procédé à des hausses de taux directeurs afin de freiner une inflation galopante ayant pointé le bout de son nez après le Covid (cf. BCE & FED). Cette « divergence monétaire » entre le Japon et les autres grandes puissances occidentales (justifiée d’un point de vue économique au regard des situation respectives de toutes les parties) s’est ainsi soldée par une forte dépréciation du Yen face au Dollar américain.

Certains investisseurs spéculatifs y ont vu ici une opportunité : emprunter du Yen sur les marchés japonais à faible coût (étant donné la faiblesse des taux d’intérêt), vendre ces mêmes Yens pour acheter des Dollars américains, et investir ces derniers sur les marchés nationaux, notamment dans l’industrie technologique qui profite d’un très beau narratif depuis des mois : l’intelligence artificielle. Oui, nous parlons bien du fameux « carry trade »

La stratégie peut être intéressante, tant elle permet de décupler ses performances sur un marché en croissance. Toutefois, elle repose sur l’hypothèse de la faiblesse du coût de l’emprunt en Yen, ainsi que sur la dépréciation continue de ce même Yen face à au Dollar américain (or les deux hypothèses sont corrélées directement).

Le problème ici, c’est que depuis deux bonnes semaines, le Yen rebondit face au Dollar US. Ce rebond a d’abord été initié par une première intervention de la BoJ (Bank of Japan) sur le marché des changes (bien que non officielle) ayant consisté pour l’institution à vendre ses réserves de Dollars US contre des Yen afin de soutenir le cours de ce dernier. Ajoutons à cela la décision « surprise » de la BoJ de relever le niveau de ses taux directeurs de 0,10% à 0,25% ce même mercredi également motivée par un soutien au Yen, et l’on obtient une dépréciation de l’ordre de 9,4% du Dollar face au Yen (une appréciation pour la monnaie japonaise donc).

Source : TradingView

Ainsi, de nombreux « carry traders » ont dû boucler leurs positions sur les marchés américains afin de pouvoir assurer la contrepartie de leurs emprunts japonais devenus plus chers, engendrant donc une pression vendeuse sur les actions américaines.

Source : TradingView

YEN ET EMPLOI US

Les marchés redoutent (pour la première fois) une récession

À ce mouvement correctif de l’ordre de la spéculation, il faut également ajouter l’impact de plusieurs données économiques fondamentales parues cette semaine qui n’ont, force est de constater, pas rassuré les investisseurs… Et ce malgré un discours plutôt encourageant de J.Powell ayant ouvert la porte à une première baisse des taux en septembre.

Premier élément : la publication du PMI Manufacturier de l’Institute for Supply Management (si l’indicateur vous parait flou, retrouvez notre guide sur le sujet

Source : Institute for Supply Management

Avec un indice publié à 46,8 points, soit 2 points en dessous des attentes du marché, et 3,2 points sous la barre symbolique des 50 points démarquant les territoires d’expansion et de contraction du secteur, l’enquête a naturellement fait douter les investisseurs. En effet, elle indique que cela fait maintenant 4 mois que le secteur manufacturier se contracte aux États-Unis, et ce toujours plus rapidement.

Autre élément intéressant du rapport : la composante « Emploi », laquelle connaît sa plus forte dégradation depuis l’avant-Covid, semblant ainsi signaler que les embauches ne sont pas une priorité pour le secteur manufacturier américain (en tout cas à date).

À l’échelle purement « macro », l’enquête révèle que l’économie globale américaine continue de croître, mais toujours moins rapidement. Ajoutons à cela la publication du rapport national sur l’emploi, dont les résultats ont été jugés plus que préoccupants par les marchés à en croire leur réaction.

En effet, et ce contre toute attente, le taux de chômage américain est passé de 4,1% (en juin) à 4,3% en juillet, là où le marché tablait sur un statu quo. Plus encore, l’économie américaine n’a créé que 114 000 emplois ce mois-ci, contre 206 000 au mois précédent. L’interprétation du marché a simplement été la suivante : une hausse du chômage pourrait être la cause d’une récession nationale.

Source : Bloomberg

On note d’ailleurs que de nombreux indicateurs du marché de l’emploi semblent sous-tendre cette idée, avec notamment un nombre d’américains cumulant plusieurs emplois pour des raisons économiques à un niveau plus élevé qu’avant le Covid.

Face à ce risque de dégradation de l’économie, les marchés ont anticipé que la FED baisserait ses taux avec certitude en septembre, ouvrant même le débat sur l’amplitude de cette baisse. Mais le sentiment est ici bien différent de celui qui prédominait il y a quelques semaines : les marchés ne s’attendent plus (à date) à ce que la FED pivote parce que le combat contre l’inflation est remporté, ils s’attendent à ce qu’elle pivote afin de soutenir l’économie. C’est d’ailleurs pour cette raison que les mauvaises publications économiques de cette semaine ont engendré une baisse des marchés dans une lecture « bad news is bad news », et non « bad news is good news » comme c’était habituellement le cas durant les précédents mois.

Par conséquent, le taux des obligations américaines à 10 ans a plongé sous la barre symbolique des 4% afin d’atteindre près de 3,8% en cette fin de semaine, une première en 2024. Et ce en parfaite concordance avec les anticipations accrues du marché quant à des prochaines baisses de taux de la FED.

Source : TradingView

En parallèle, c’est donc l’ensemble des marchés « action » qui ont drastiquement chuté. Nous avions mentionné le S&P500 en introduction, ainsi que le Russell 2000. Il est alors intéressant de constater qu’après un très beau rebond lors des dernières semaines, l’indice des « small & mid-caps » a été le grand perdant de la semaine, avec une performance de quasiment -9% sur les seuls deux derniers jours de la semaine. Encore une fois, cela s’explique par le changement de psychologie du marché face aux raisons qui justifieraient un pivot de la FED : un hard-landing plutôt qu’un soft-landing.

Source : TradingView

Enfin, en guise d’illustration tacite de ce que nombreux qualifient d’un « bain de sang », le cours du VIX, le fameux indice de la peur mesurant la volatilité de l’indice S&P500 (et donc sa nervosité), a littéralement explosé.

Source : TradingView

En l’espace de deux jours, le cours de l’indicateur est passé de quasiment 16 points pour toucher brièvement les 30 points avant de clôturer aux alentours des 23 points. Rappelons qu’on qualifie un régime de « volatil » lorsque le VIX dépasse la barre symbolique des 18 points (retrouvez notre guide sur la volatilité ici). Le VIX comme véritable parangon de cette semaine tumultueuse…

YEN ET EMPLOI US

La leçon de la semaine : la diversification !

Cela étant-dit, la question devient légitimement : « comment s’adapter faire ? ». Face aux incertitudes macroéconomiques qui planent aussi bien sur le Japon que sur les États-Unis, la prudence est naturellement de mise.

Ce sont d’ailleurs des classes d’actifs jugées souvent « trop prudentes » qui se sont avérées être les grandes gagnantes de la semaine : les obligations ainsi que les métaux précieux.

Nous avions à maintes reprises évoquées le sujet de l’obligataire américain dans un contexte qui amènerait la FED à abaisser le niveau de ses taux d’intérêt, c’était d’ailleurs la première tribune publiée au sein de notre Club. D’ailleurs, notre position sur le fonds indiciel $TLT s’est appréciée de 4,92% durant cette semaine.

Le métal jaune s’est également apprécié (malheureusement en raison des tensions géopolitiques persistantes au Moyen-Orient). Et il ne serait pas étonnant de voir son cours continuer à grimper si les prochaines données économiques américaines continuent d’indiquer un ralentissement plus fort de l’économie nationale.

Si les actions sont effectivement la classe d’actifs la plus performante lorsqu’on évoque les marchés financiers, il faut toutefois avoir bien conscience que ces performances dépendent naturellement du contexte économique dans lequel nous nous trouvons. Je vous invite d’ailleurs à relire le très bon article de Sovanna sur le sujet de la rotation sectorielle

Concernant la suite des évènements, l’indice PMI Services de l’ISM sera d’une importance capitale ce lundi pour rassurer (ou non) les marchés sur le sort de l’économie américaine. À méditer…

Martin Decanter

Martin Decanter

Analyste, auteur et coach - Certifié AMF

Martin, expert en macroéconomie et pédagogue, combine formation en finance et expériences en gestion de patrimoine et analyse stratégique.

Au sein de Finneko, il est responsable des analyses économiques et œuvre pour démocratiser l'accès à l'investissement notament via des contenus vidéo (Formation et Youtube).

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