Chroniques

L’explosion de la dette publique : une bombe à retardement ?

 

Chères lectrices, chers lecteurs, bonjour à vous. Pour cette chronique, nous avons décidé de nous attaquer à un sujet colossal qui fait souvent le jeu des médias : la dette publique.

la dette publique

Point introductif

La dette, un mot qui fait peur, pas vrai ? Surtout quand elle se compte en milliards d’euros. Souvent présentée comme un « grand méchant », la dette présente tout de même certains atouts qui ont su faire la force de notre système économique tout au long de son histoire. Encore faut-il bien saisir le concept.

Pour ce faire, il faut comprendre le fonctionnement du budget de l’État. Chaque année, l’État perçoit de l’argent, notamment via le système fiscal, et le dépense selon son ambition politique (santé, éducation, défense, etc). Or, il arrive parfois (pour ne pas dire tout le temps) que notre organe central « dépense plus que ce qu’il gagne », se traduisant par un budget déséquilibré. Un déséquilibre budgétaire, c’est ce qu’on appelle un déficit, lequel est très souvent comblé par des emprunts sur les marchés financiers sous forme d’obligations (on vous renvoie à notre tribune sur le sujet).

Une fois que le concept de « déficit » est posé, il ne reste plus qu’un pas à faire pour comprendre ce que constitue la dette publique. Comme précisé, les budgets étatiques sont rarement équilibrés : en France, le dernier budget équilibré remonte à 1974, année de l’élection du Président Giscard d’Estaing. La dette, c’est simplement la « somme » de tous les déficits passés : une accumulation des déséquilibres financiers.

De manière générale, la dette publique n’est pas étudiée en « valeur absolue ». Il est communément admis qu’étudier son évolution relativement à celle de la croissance économique est plus pertinent. Pourquoi ? Pour remettre en perspective les moyens utilisés pour créer de la richesse. C’est pourquoi le ratio « Dette publique / PIB » est le plus surveillé.

la dette publique

Petite histoire de l’endettement public

Vous connaissez l’adage : « étudier le passé pour comprendre le présent ». Et bien nous vous proposons de réaliser l’exercice ensemble.

Si l’endettement public « est, et a toujours été », c’est surtout à partir de la 1ère guerre mondiale qu’il prend de l’ampleur. La raison est simple : le monde entre en conflit, la guerre coûte de l’argent et la période n’est naturellement pas propice à la création de richesse. Entre-temps, la Grande Dépression s’installe en Europe, qui donnera d’ailleurs lieu à la 2nd guerre mondiale. Une chose est certaine, l’Occident n’était pas à son âge d’or. C’est dans ce contexte de soutien nécessaire à l’économie que la dépense publique explose véritablement (sous les enseignements du célèbre J.M.Keynes). Comprenons que le ratio « Dette publique / PIB » mondial passe de 13% en 1913 à 150% en 1946 (FMI, 2010).

Et puis, parce que la crise donne (généralement) naissance à la prospérité, la problématique de l’endettement public s’estompe, effacée par une période de croissance économique inédite : les fameux « 30 glorieuses ». 

4,5%, c’est le taux de croissance annuel moyen des pays de l’OCDE entre 1945 et 1975 : l’économie mondiale triple de volume ! En parallèle, l’endettement stagne ce qui, a postériori, se traduit par un fort recul du ratio « Dette publique / PIB ».

Et c’est là que tout bascule… Des années 1980s à aujourd’hui, la croissance économique des pays développés ralentit, au point de stagner. En parallèle, les dépenses publiques explosent, chaque décennie passant

Source : Finneko – INSEE

Toutefois, il est essentiel de comprendre que les 15 dernières années ont marqué un véritable tournant. Pourquoi ? Car l’économie mondiale a traversé deux crises majeures : la crise financière de 2008, et la crise sanitaire de 2020. L’endettement a littéralement explosé, conséquence de l’action gouvernementale pour soutenir l’économie. Aux États-Unis, en 2021, la dette a dépassé les 28 000 milliards de dollars, représentant environ 133% de son PIB. Quant à la France, elle a vu sa dette publique grimper à 114.9% de son PIB en 2020, contre 97.9% en 2019, le « quoi qu’il en coûte » aurait-il donc un prix ?

La dette publique

L’explosion de la dette publique, vraiment ?

Ne nous leurrons pas, la dette publique ne sera pas remboursée. Ce n’est pas juste un avis subjectif, c’est une réalité économique acceptée par tous les acteurs de cet univers. Dites-vous bien qu’à l’heure actuelle, la France aurait besoin de produire pendant plus d’une année complète sans rien « dépenser » pour rembourser sa dette. C’est insurmontable, ainsi soit-il.

Comprenons donc que l’endettement public ne pose pas de problème « dans l’absolu », mais bien en termes relatifs : c’est là que le concept de « charge de la dette » intervient. Qu’est-ce que c’est ? Simplement la part du budget de l’État qui doit être utilisée pour payer ses créanciers : oui, emprunter n’est pas gratuit (on vous renvoie à notre article sur les taux d’intérêt pour plus de détails). Le vrai enjeu donc, c’est de s’assurer que le coût de la dette n’augmente pas, de sorte que la dynamique de l’endettement reste stable. Il existe ainsi une condition « mathématique » à remplir : le taux de croissance économique doit être plus élevé que le taux d’emprunt de la dette, c’est là que les choses deviennent intéressantes...

De 2008 à 2021, les taux d’intérêt étaient quasi nuls : c’était l’ère de l’argent magique. En clair, les emprunts d’État massifs pour pallier les crises n’ont pas « coûté grand-chose ». Et ce, même-ci le « quoi qu’il en coûte français », c’est plus de 240 milliards d’euros de dépenses d’après Bruno Le Maire.

Toutefois, avec le « retour de l’inflation », l’ensemble des taux d’intérêts ont été poussés vers le haut, dont le taux d’emprunt français.

Source : TradingView

L’évolution du taux d’emprunt à 10 ans du Trésor Public l’illustre : aujourd’hui, la dette coûte environ 2,9% contre –0,4% mi 2021 !

Si les taux ont explosé à la hausse, notre équation économique est donc en danger, car la croissance économique française ne s’est élevée qu’à 0.9% en 2023 d’après l’INSEE. La bombe va-elle donc exploser ?

Pas si vite, il reste un élément qu’il est crucial d’aborder lorsqu’on aborde le sujet de l’endettement public : l’inflation. Pourquoi ? Car le « grand méchant loup » a un impact direct sur la valeur de la dette. Puisque l’inflation est littéralement la « perte de valeur de la monnaie » (se traduisant par une diminution du pouvoir d’achat), et bien les détenteurs d’une dette émise dans une monnaie inflationniste voient la valeur de leurs avoirs… se réduire ! En clair, l’inflation érode la dette.

Prenons un exemple : si je vous prête 100€ en janvier mais qu’entre-temps l’inflation s’élève à 10% en rythme annuel ; en décembre, lorsque vous me rembourserez mes 100€, ils n’en vaudront plus que 90€ « en termes réels ». C’est à votre avantage, naturellement.

Donc comprenons bien que l’épisode inflationniste que nous traversons depuis 2021 a permis d’éroder une grande partie de la dette que nous avions contracté notamment pour répondre à la crise sanitaire. Évidemment, en contrepartie, les ménages se sont appauvris, voyant leur pouvoir d’achat grignoté un peu plus chaque année.

De même, notre point n’est pas de « prendre le sujet à la légère ». L’endettement public reste un vrai défi qui forcera les gouvernements concernés à prendre les mesures adéquates : n’en témoigne le dernier débat public sur le sujet des retraites…

Vous l’aurez compris, le sujet de la dette publique est aussi intéressant que technique. En tant qu’investisseur, c’est un concept qu’il est nécessaire d’avoir à l’esprit, surtout car il est susceptible d’offrir des opportunités intéressantes…

La dette publique

Comment tirer profit de cette dynamique ?

En voilà une question intéressante. Rappelez-vous, il y a deux semaines, nous abordions le sujet du marché obligataire et de sa potentielle opportunité pour cette année 2024, et bien la dynamique de la dette publique ajoute un argument favorable à cette idée.

La dette ne sera pas remboursée, c’est une chose. Mais il faut aussi comprendre qu’aucune autorité nationale/supranationale ne pourrait se permettre d’abandonner la dette publique de son pays à son propre sort, les retombées économiques et sociales en seraient catastrophiques. Vous croyez vraiment à la possibilité d’un défaut de paiement des États-Unis alors même que la « planche à billet existe » ?

Martin Decanter

Martin Decanter

Analyste, auteur et coach - Certifié AMF

Martin, expert en macroéconomie et pédagogue, combine formation en finance et expériences en gestion de patrimoine et analyse stratégique.

Au sein de Finneko, il est responsable des analyses économiques et œuvre pour démocratiser l'accès à l'investissement notament via des contenus vidéo (Formation et Youtube).

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