CHRONIQUES
Lithium : l’or blanc, pour qui ? Et pour quel avenir ?
Nouvelle opportunité, nouvelles bisbilles, nouvelle compétition, nouveaux enjeux… Après avoir exploré l’or noir, l’or bleu et l’or brun, Finneko plonge dans les profondeurs de l’or blanc, pour dégager les grandes tendances de la clé de l’industrie des véhicules électrifiés.
Le lithium
Point introductif
Il est vrai qu’il est agréable d’avoir un écran de cinéma 4K sur sa console de commande lorsque l’on est en voiture. Regarder un film sur un trajet ? Oui. Jouer à un jeu vidéo ? Pourquoi pas. Dormir ? Soyons fous. Ce qui est en tout cas vecteur d’une certaine lassitude, c’est la prodigalité des Tesla modèle Y sur les routes de France. Certes, le design éthéré et la domotique exceptionnelle du véhicule sont plaisants. Toutefois, si vous aviez conservé vos 42 990 € en novembre 2022 avant d’acheter ce qui n’est plus une consommation originale et que vous aviez fait all-in sur le BTC, alors qu’il était presque à son bottom (point le plus bas d’un cours), alors vous seriez aujourd’hui, 13 mars 2024, en possession d’un portefeuille d’un peu plus de 160 000 €, de quoi acquérir une Tesla Y et autres fioritures.
Au-delà de ce constat qui nous rappelle que tout achat n’est qu’un renoncement à d’autres opportunités, les véhicules électriques, Tesla et BYD inclus, fonctionnent à partir d’une batterie qui rompt avec le fonctionnement traditionnel des voitures thermiques. Tandis que ces dernières se reposent sur l’exploitation et le raffinement de pétrole, leur avers électrique avance grâce à un élan impulsé initialement par une batterie lithium-ion. Bien qu’il existe d’autres déclinaisons, cette forme est la plus courante. Au cœur de son fonctionnement, un minerai : le lithium.
Cet objet minéral dont il est possible d’extraire des métaux et autres composants métalliques est donc au cœur d’enjeux de prime abord commerciaux. Toutefois, son extraction et son exploitation vont au-delà des intérêts économiques de sociétés privées. Les nations foisonnantes de lithium ont rapidement compris que, comme l’exprimaient les exploitations minières, ce minerai était le «pétrole du XXIième siècle».
le lithium
L’or blanc, comprendre un marché d’une valeur inestimable
Le marché du lithium était évalué à hauteur de 40 milliards de dollars américains en 2021 et devrait tripler vers les 120 milliards à horizon 2028. Une croissance de 200% est notamment portée par le secteur du véhicule électrique (VE) auquel le lithium est substantiellement lié. Or, tout comme le minerai devrait croître, le marché des VE passerait de 6,6 millions d’unités à 20 millions entre 2021 et 2025. Ainsi, un nouveau triplement, que les initiatives des autorités gouvernementales et supra-gouvernementales portent par le biais de leur initiative en faveur de la transition écologique nécessaire, illustrée notamment par la décision de l’Union Européenne d’interdire la vente de véhicules thermiques neufs à compter de 2035. Une transition dans le secteur de la mobilité est donc nécessaire, sans être suffisante, afin d’amorcer un processus d’adaptation aux enjeux écologiques, tandis que GreenPeace estime qu’en 2023, les voitures sont responsables de 9% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde.
La chaîne de valeur du lithium peut être décrite en trois étapes principales : l’extraction, le traitement, qui permet la transformation en carbonate de lithium ou en hydroxyde de carbone, et la transformation de produits chimiques en produits finis, comme l’exemple des batteries lithium-ion que nous avons évoqué supra. Selon l’Institut d’études géologiques des Etats-Unis, en 2021, son usage était réparti à 74% vers les batteries électriques, à 14% vers la céramique et la verrerie et à 3% vers les graisses lubrifiantes. Ainsi, la majeure partie va dans la poche de l’industrie des VE, friande de l’or blanc en raison de sa légèreté, de sa durabilité et de sa densité énergétique compétitive.
Mais alors, qui sont les acteurs de ce marché ? Raisonnons tout d’abord en réserves prouvées, qui sont l’ensemble des ressources en lithium reconnues qu’une nation possède. Au niveau mondial, le volume total de réserves prouvées est de 26 millions de tonnes de lithium. En première ligne au regard de ce critère, le Chili vient se positionner confortablement avec 9,3 millions de tonnes prouvées, soit 35,77% des possibilités d’exploitations mondiales. L’Australie lui colle les basques, bien que l’avance soit importante pour Santiago, alors que le volume prouvé est égal à 6,2 millions de tonnes de minerai (soit 23,85% du total). Un second pays d’Amérique du Sud vient arracher la médaille de bronze avec 2,7 millions de tonnes de réserves prouvées (10,38%), suivi par la Chine qui possède 2 000 000 de tonnes (7,69%), avant les Etats-Unis, dotés de moitié avec 1 000 000 T de réserves (3,85%). Pour compléter ce haut du panier, dans un ordre décroissant de réserves, on trouve : le Canada (930 000 T), le Zimbabwe (310 000 T), le Brésil (250 000 T) et le Portugal (60 000 T).
Après avoir pensé possession, réfléchissons exploitation. En 2022, 130 000 tonnes de lithium sont produites. L’Australie vient détrôner le Chili avec une production de 61 000 tonnes, soit 46,92% de la production totale. L’économie australienne du minerai blanc bénéficie de mines de lithium importantes comme Greenbushes et Kemerton, tout en exercant dans un cadre politique qui favorise l’investissement et le développement de l’appareil national, bien que cette opportunité d’exploitation rameute les avides de ce monde et suscitent des tensions. Pour venir soutenir la production australienne, le Chili extrait 39 000 tonnes de lithium (soit 30% du total), avant la Chine, l’Argentine et le Brésil qui produisent respectivement 19 000 T, 6 200 T et 2 200 T de lithium. Les Etats-Unis affichent le piètre résultat de 900 tonnes extraites et le seul représentant de l’Europe qu’est le Portugal en sort 600 tonnes des mines. La tête du classement a peu bougé entre 2018 et 2022, bien que le volume produit ait cru de 36,85% en l’espace de 5 ans.
Le Chili entend renforcer sa position sur le marché de l’extraction de lithium, en particulier par le biais d’une nationalisation. Le jeudi 20 avril 2023, le président chilien Gabriel Boric a annoncé qu’une nationalisation de l’industrie serait conduite afin de permettre une meilleure répartition des richesses perçues par le biais de cette économie. Quelques participations d’entreprises privées afin de réaliser l’exploitation des ressources en profondeur minière étaient alors évoqués, mais la réaction des investisseurs fut à la frilosité et beaucoup se désengagèrent pour rejoindre le leader australien. Toutefois, fin décembre 2023, la société chilienne Codelco initie une alliance avec la Sociedad Química y Minera de Chile (SQM), dans la continuité des déclarations d’avril, concrétisant le projet de jeune chef d’Etat du pays. Cette liaison pourrait permettre au pays d’augmenter ses capacités d’extraction, sur le parc le plus conséquent au niveau mondial.
Plus récemment, la secrétaire du Trésor américain Janet Yellen s’est rendue sur le site du production de l’entreprise américaine Albemarle, présente dans le nord du pays. Affichant une attitude positive à l’égard de l’économie du lithium au Chili, elle a annoncé comme une prophétie autoréalisatrice la perspective de 3 000 milliards d’investissement au niveau mondial à horizon 2050. L’économie américaine a en effet besoin de ce bond dans les financements qui permettront une augmentation de la production, favorable à l’industrie de l’automobile électrifiée.
le lithium
Les enjeux et perspectives du lithium
Au cœur de la révolution électrique, le lithium représente à la fois une promesse d’avenir durable et une source de controverses environnementales et sociales. Nous l’avons vu, en tant qu’élément clé des batteries alimentant véhicules électriques et stockant l’énergie renouvelable, son importance ne cesse de croître, reflétant les ambitions de la transition énergétique. Toutefois, son exploitation pose de sérieux dilemmes.
La demande mondiale de lithium est sur une trajectoire explosive, anticipée à augmenter quarante fois d’ici 2040, selon les projections de l’Agence internationale de l’Énergie (AIE). Cette croissance est principalement portée par le développement rapide du marché des véhicules électriques, attendus pour représenter 12% du parc automobile global d’ici 2028. La dépendance à cette ressource s’intensifie en l’absence d’alternatives technologiques viables pour les batteries, accentuant ainsi la pression sur les ressources de lithium disponibles.
Cependant, l’extraction du lithium est loin d’être sans conséquences. L’exploitation minière à ciel ouvert, prédominante dans ce secteur, exige l’utilisation intensive d’eau et d’énergie, tout en produisant des déchets toxiques significatifs. Les procédés de traitement du lithium, consommateurs d’eau, risquent de contaminer sols et nappes phréatiques, affectant la biodiversité et les communautés locales. Un incident marquant a eu lieu en 2022, où une fuite de solution saline toxique à la mine de Salar de Atacama, au Chili, a entraîné une contamination environnementale majeure, soulignant les risques environnementaux inhérents à cette industrie.
Les dangers de l’extraction du lithium ne se limitent pas à son impact environnemental. En 2023, un tragique glissement de terrain dans une mine de lithium au Portugal a emporté la vie de six personnes, rappelant les périls auxquels les travailleurs sont exposés dans ce secteur. Ainsi, les conditions des mineurs dans les exploitations de lithium est un sujet central dans la mutation de cette industrie.
Par ailleurs, l’ascension du lithium a engendré une économie de rente concentrée entre les mains de quelques nations productrices, telles que l’Australie, le Chili et la Chine, qui dominent le marché mondial, tout comme le pétrole était devenu la manne financière exclusive de certaines nations comme l’Arabie Saoudite. Cette dynamique enrichit les pays producteurs, tout en laissant les communautés locales avec peu de bénéfices économiques, exacerbant les inégalités.
Face à ces enjeux, l’industrie et la communauté scientifique cherchent des voies plus durables pour l’exploitation du lithium. Les initiatives se multiplient pour mettre au point des méthodes d’extraction moins gourmandes en ressources naturelles et pour améliorer le recyclage des batteries usagées. Parallèlement, la quête de matériaux alternatifs au lithium s’accélère, dans l’espoir de diversifier les solutions de stockage d’énergie et de réduire la pression sur ce minerai, lanterne dans le tunnel sombre mais ardent de la crise climatique.
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L’évolution du prix sur les trois dernières années
Nous allons brièvement nous pencher sur la valeur du Lithium Carbonate, qui est un indice exprimé en Yuan, monnaie chinoise. Après une période de hausse à partir d’août 2022 jusqu’en novembre 2022, le prix du lithium a atteint un pic de 600 000 Yuan, soit l’équivalent de 83 500 dollars américains. S’ensuit une période de chute libre, le cours tutoyant des niveaux sensiblement similaires à ceux précédent l’engouement à compter de la fin de l’année 2023, après un sursaut fin avril 2023. Aujourd’hui, le cours se situe autour de la barre des 100 000 Yuan, soit 13 922 dollars et une diminution de 83% du prix depuis la valeur la plus haute.
Quelles sont les raisons de telles fluctuations ? La hausse fulgurante a été portée par les raisons que nous avons évoquées, c’est-à-dire une forte demande en matière de VE, donc de batteries adaptées, requérant du lithium. Cette demande est portée en partie par le New Green Deal, présenté pour la première fois le 11 décembre 2019, qui vise à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. A cela se conjugue les difficultés d’extraction de cette ressource, ce qui réduit sur le court terme les volumes offerts et participe de l’augmentation de son prix. Puis, un beau jour, l’inflexion. La diminution forte a débuté lorsque les demandeurs d’or blanc ont anticipé une baisse des prix et ralenti leurs commandes pour éviter de payer à un prix qu’ils considéraient trop élevés. La demande en berne, généralisée sur le marché mondial, a également fait suite à une offre conséquente de la Chine ayant produit un nombre important de batteries, offre doublée d’une aide financière à l’achat de véhicules électrique ou hybride (subsides) qui devait prendre fin au sortir de 2023. Déjà dotés ou n’étant plus incités à l’acquisition, les acheteurs ne payaient plus, laissant le cours s’effondrer.
Ainsi, l’industrie du lithium est soutenue en grande partie par les VE et dominée par quelques nations dont aucune à l’exception d’une ne sont européennes. De plus, elle présente des difficultés d’ordre environnemental, sécuritaire et économique. Enfin, la demande est élastique, soit réactive, aux variations des prix, ce qui signifie que des effets d’emballement à la hausse comme à la baisse sont à constater entre 2021 et 2024.
Samuel Brel
Auteur
Convaincu de l'importance de démocratiser la pensée économique, Samuel rédige depuis deux ans une newsletter quotidienne pour ouvrir les esprits aux enjeux actuels.
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