CHRONIQUES

Moyen-Orient : quand l’eau est à une goutte de déborder du vase

 

Après plus de six mois depuis l’attaque du 7 octobre perpétrée par le Hamas à l’encontre d’Israël, une nouvelle étape vient d’être franchie. Alors qu’Israël continue de renforcer sa position sur le territoire de la bande de Gaza et que le nombre de décès palestiniens est estimé à 33 797 personnes selon l’Unicef dans une publication du 16 avril 2024, l’Iran a lancé une opération militaire aérienne coordonnée avec la Syrie, l’Irak et le Yémen le samedi 13 avril. Des détails qui sont ceux du 16 avril 2024, les frappes aériennes se sont concrétisées par l’envoi de 170 drônes de combat, 120 missiles balistiques et 30 missiles de croisière, soit une agression sans précédent entre les deux pays, rivaux de longue date.

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Point introductif

En effet, tandis que l’Iran est le second pays après l’Egypte à reconnaître l’existence d’Israël comme d’un Etat après sa création en 1948, les événements s’enflamment avec l’accession au pouvoir d’une république islamique marquant la fin de la dynastie Pahlavi. Après le Shah, l’ayatollah Khomeini prend les rênes du gouvernement et mène une politique diplomatique fondée sur la diatribe d’Israël, accusé notamment d’être un cheval de Troie des Etats-Unis. Les tensions s’accentuent donc, chacun s’observant en chien de faïences.

Puis, le 1er avril, une agression aérienne attribuée à Israël sur un consulat iranien situé en Syrie cause le décès d’un peu plus d’une quinzaine de personnes, dont un cadre du Hezbollah. La réaction verbale de l’Iran ne se fait pas attendre, au contraire de la conséquence militaire, qui survient donc le 12 avril tandis que les marchés financiers sont clos. L’envoi des drônes et missiles est perçu par la communauté internationale comme le paroxysme des tensions dans la région à date. Les médias guettent, analysent, relatent, et patientent.

Pendant ce temps, Israël, épaulé par les Etats-Unis de Joe Biden, la France d’Emmanuel Macron et la Jordanie d’Abdallah II, intercepte ces assaillants aériens que l’on voyait venir de loin. Résultat : 99% de ce bastion des airs aurait fini par être abattu et aucun décès ne serait à déplorer. Néanmoins, les foudres iraniennes ont attisé la colère israélienne. Benjamin Netanyahu, Premier ministre israélien, tout comme Benny Gantz, ancien chef de l’Etat-major et un temps membre du cabinet de guerre formé suite à l’attaque du 7 octobre, ont prononcé des sentences à faire pâlir la loi du Talion. Joe Biden, appuyé notamment par les Nations Unies, s’est prononcé en faveur de la raison, pour éviter une escalade meurtrière supplémentaire au Proche-Orient.

Motivé par la volonté de jouer les «gendarmes du monde» alors que Donald Trump aurait balayé d’un revers de la main cet interventionnisme au profit d’un isolationnisme chauvin, les émois de la communauté internationale ont refroidi l’ire israélienne, sans pour autant l’éteindre. C’est ainsi qu’Israël semble préparer sa riposte, en contrepieds des appels américains. Prévoyant comme il est, le gouvernement iranien a déjà évoqué l’éventualité d’une réponse plus conséquente si l’idée venait à l’Etat hébreu de mettre à exécution ses menaces.

La tension atteint donc un acmé, qui ne pourrait être que le départ d’une escalade bien pire encore, alors qu’Israël mène des opérations visant à éliminer des membres éminents du Hezbollah, ou le sommet d’une escarmouche revancharde et symbolique qui finira par faire pschitt. Cela n’empếche pas que chacun, tremblant, garde un oeil rivé sur la réaction israélienne, suspendu à une décision imprévisible tant les tractations pourraient faire basculer la balance d’un côté comme de l’autre.

Plongeons-nous dans la traduction financière de cet attentisme craintif qui souligne les enjeux économiques forts liés à de tels événements dramatiques.

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Cet attentisme permet l’évitement d’un affolement du cours du pétrole

A la veille du 7 octobre, le prix du baril de Brent, référence en matière de valeur du pétrole, tutoyait les 85 dollars. Puis, à l’instar de l’invasion de l’Ukraine par les Russes en février 2022, l’attaque du Hamas a été un élément déclencheur d’une hausse débridée du prix de l’or noir. Entre le 7 octobre et le 20 octobre, il prend plus de 7 points, se positionnant au-delà de la barre symbolique des 90 dollars. Puis, alors que la situation perdure et qu’aucun acteur supplémentaire ne s’engage réellement, et alors que la demande anticipée sur le pétrole pour l’année 2024 se voit diminuer, l’ascension se calme. Le regain de stamina impulsé par un accroissement des tensions au niveau du Canal de Suez enclenche un nouveau cycle haussier pour le pétrole, atteignant les 91 dollars, avant de se stabiliser en-deçà, même lorsque le 15 avril, les marchés commencent leur semaine après le choc de la nuit de samedi à dimanche.

Source : TradingView

Une patience scrutatrice donc, qui ne permet pas d’exclure une hausse conséquente dans le cas où les ripostes deviendraient monnaie courante. En effet, les tensions dans le Proche et le Moyen-Orient se sont souvent soldés par de vives réaction du cours du baril de Brent, preuve en sont les deux chocs pétroliers successifs de 1973 et 1979 qui ont respectivement vu le prix moyen du baril augmenter de 2,70 USD à 11 USD puis de 12,79 USD à 29,18 USD.

D’autant plus que le monde est dépendant de la région en matière de pétrole, l’Arabie Saoudite, l’Irak, les Emirats Arabes Unis, l’Iran et le Koweït figurant parmi les 10 premiers pays producteurs de pétrole en 2020, soit 27,9% à eux seuls. Cette aliénation du monde aux humeurs de la région, conjuguée au pouvoir de l’Opep+, rend d’autant plus crucial un apaisement des tensions pour les pays importateurs.

D’autant plus que l’Iran, producteur de 4% du pétrole dans le monde, pourrait décider en réponse à une attaque d’Israël, de suspendre ses livraisons, ce qui aurait pour effet de raréfier le baril sur un marché déjà soumis à une tension forte, et par extension d’augmenter le prix du cours du Brent. Les conséquences sur l’IPC pourrait impacter encore davantage les perspectives d’une baisse des taux directeurs par les banques centrales.

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L’«indice de la peur» s’active en revanche…

Au gré des tumultes géopolitiques et boursiers, l’indice VIX, surnommé l’« indice de la peur », se dresse comme un phare dans la tempête, éclairant les trépidations et vicissitudes des marchés financiers. Conçu en 1993 par le Chicago Board Options Exchange, cette valeur est la mesure de la volatilité attendue des options sur l’indice S&P 500 pour les trente jours à venir. Elle permet ainsi de faire une photographie des anticipations des investisseurs relativement aux mouvements futurs du marché. La spécificité du VIX réside dans sa capacité à traduire, en un simple chiffre, le degré d’incertitude et de nervosité des marchés.

Un VIX élevé (> 18) signale une forte inquiétude parmi les investisseurs, tandis qu’une valeur faible indique une relative sérénité. Néanmoins ce seuil n’est qu’une valeur parmi d’autres. Il n’en demeure pas moins que le comportement du VIX est bien souvent éloquent. Ainsi, en scrutant les oscillations de cet indice, les acteurs du marché peuvent saisir le pouls des marchés, souvent agité par les vents capricieux de la géopolitique mondiale.

Dans notre cas, l’image ci-dessous est saisissante : alors que l’indice voyageaient entre les 12 et le 16 points depuis un mois, les tensions entre Israël et l’Iran ont causé une augmentation de l’indice pour qu’il vienne dépasser les 18 points. Toutefois, l’envolée est loin d’être icarienne et traduit de nouveau une prudence vis-à-vis des événements à venir, bien qu’elle soit élevée sur un mois – l’indice gagne 28,4% sur un mois.

Source : TradingView

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…et le besoin de sécuriser son portefeuille se ressent

D’autre part, l’or, cette «relique barbare» selon l’économiste américain John Maynard Keynes, conserve son statut d’étoile inébranlable dans le firmament des valeurs refuges. Sa valeur intrinsèque, inaltérable par les vicissitudes économiques ou les dégradations temporelles, en fait un bastion de stabilité dans un monde financier par ailleurs en perpétuelle évolution. Théoriquement, l’or bénéficie d’une demande anticyclique : en périodes de crise ou d’incertitude, les investisseurs se ruent vers ce métal, cherchant à préserver leur capital contre l’inflation ou la dévaluation des monnaies papier. Ce comportement a été observé de manière récurrente, que ce soit lors des crises financières, des tensions géopolitiques ou des bouleversements économiques, confirmant ainsi le rôle de l’or comme sanctuaire sécuritaire pour les patrimoines menacés par les coups de tonnerre sur les marchés.

Si l’on regarde spécifiquement notre situation, alors que sur le dernier mois, le XAUUSD, soit le prix spot de l’or en dollar américain, a pris de la valeur à hauteur de 10,41%, les cinq derniers jours concentrent plus de 2 points de hausse, malgré une baisse visible du cours de 2420 USD à 2340 USD. Puis, alors que l’attaque survient, des rebonds successifs viennent marquer le cours, si bien que malgré la patience prudente précédemment évoquée, les marchés frileux et craintifs face à une potentielle riposte se déportent vers des valeurs plus sécurisées, «refuges», comme l’or par exemple. Cela précise l’attitude des marchés face à l’incertitude, qui ne demeure pas figée dans l’attente d’une ultime provocation embarquant la région dans un embrasement plus grand encore.

Source : TradingView

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La situation pour le commerce mondial : la géopolitique comme étincelle des réalités économiques

Dans un précédente chronique, nous abordions les conséquences des attaques des Houthis yéménites sur le commerce international, avec un contournement des passages habituels comme le Canal de Suez pour emprunter des chemins certes plus longs, et par conséquent plus onéreux, mais pour autant présentant plus de sécurité pour les transporteurs et les marchandises.

L’attaque orchestrée par l’Iran fut l’occasion d’un regain de violences dans la zone, ce qui a pour conséquence de raviver la pressurisation du commerce mondial, dans une région stratégique en la matière. L’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis, qui ont tenté tant bien que mal d’adopter une position de médiateurs, ont prévenu les autorités israéliennes d’une agression à venir, sans pour autant agir pour la freiner, maintenant leur position d’équilibristes dans un contexte de plus en plus instable. L’enjeu est de taille : alors que 12% du trafic maritime mondial et près d’un porte-conteneurs sur trois transitent annuellement par la mer Rouge, une multiplication des attaques pourraient de nouveau ralentir le fret maritime et avoir des conséquences sur la hausse des prix.

Il ne tient donc qu’à un fil que les prix du pétrole s’envolent vers de nouveaux cieux renforçant une crise énergétique dont on espérait l’évanescence, que le VIX poursuive sa grimpée, transcrivant la bascule de la scrutation inquiète à la constatation apeurée, et que l’or continue son bout de chemin, alors que le contexte économique joue d’ores et déjà en sa faveur étant considéré qu’il représente une valeur refuge.

Samuel Brel

Samuel Brel

Auteur

 

Convaincu de l'importance de démocratiser la pensée économique, Samuel rédige depuis deux ans une newsletter quotidienne pour ouvrir les esprits aux enjeux actuels.

Alliant conviction et passion, il vous propose chaque semaine la Lettre Finneko et notre Chronique hebdomadaire, pour suivre les événements influençant les investissements.

Le marché des cryptomonnaies face aux récentes données économiques et au pivot attendu de la Fed

Le marché des cryptomonnaies, bien que particulier, reste soumis aux grandes règles de la finance et, surtout, à celles des marchés financiers. Ces marchés réagissent aux données économiques, aux régulations et aux politiques monétaires. C’est exactement ce qui nous intéresse aujourd’hui : quel impact les récents chiffres concernant l’inflation et le marché du travail peuvent-ils avoir sur le marché crypto ? En réalité, la question centrale est de savoir comment le marché réagira au tant attendu « pivot » de la Réserve fédérale (Fed), qui pourrait débuter lors du prochain FOMC (Federal Open Market Committee) ce mercredi 18 septembre.

Des fissures apparaissent dans la stratégie iranienne de « l’axe de la résistance »

Au cours des quatre décennies qui ont suivi sa révolution islamique, l’Iran a formé et soutenu un nombre croissant de forces combattantes alliées dans tout le Moyen-Orient. La Force Al-Qods, qui fait partie du Corps des gardiens de la révolution islamique (IRGC), sert de principal point de contact avec ces groupes, leur fournissant une formation, des armes et des fonds pour promouvoir les objectifs régionaux de l’Iran.

La crise au Moyen-Orient rapproche un peu plus Moscou de Téhéran

Le Moyen-Orient est de nouveau au centre de l’attention internationale, alors que les tensions entre Israël et l’Iran s’intensifient après l’assassinat du chef du Hamas Ismaïl Haniyeh à Téhéran. Et la Russie pourrait avoir un rôle ici. Décryptage.

Que sont les « crack spreads » sur le marché pétrolier ?

Dans l’industrie pétrolière, les cadres des raffineries sont principalement préoccupés par la couverture de la différence entre leurs coûts d’achat et les prix de vente de leurs produits. Les « crack spreads » sont des indicateurs clés sur le marché pétrolier, essentiels pour comprendre la rentabilité des raffineries et les dynamiques des prix des produits pétroliers. Décryptage.

Le rôle des raffineries privées chinoise sur le marché du pétrole brut sanctionné

L’an dernier, les raffineurs indépendants chinois, qu’on appelle les “les théières chinoises” ont amélioré leurs bénéfices en achetant à prix réduit du pétrole brut iranien et russe ainsi que des produits sanctionnés par l’Europe et les Etats-Unis, et délaissés par d’autres acheteurs. Cependant, les fluctuations des restrictions américaines ont fait grimper les prix sur le marché des bruts sanctionnés, ce qui pourrait rendre les marges bénéficiaires plus serrées pour les petits raffineurs cette année.

Le marché du gaz naturel liquéfié fragmenté par les perturbations en mer Rouge et au canal de Panama

Avec une demande mondiale en gaz naturel liquéfié (GNL) en forte croissance, tous les acteurs du secteur se mobilisent. Cette nouvelle réalité entraîne de nombreux défis dont des instabilités sur les routes maritimes.

Retrait de Joe Biden : une évidence qui finit par s’imposer… à quel prix ?

Il y a une vingtaine de jours, à la suite du premier débat pour les élections présidentielles américaines qui s’est tenu le 27 juin dernier, nous avions évoqué dans une première chronique dédiée à ce sujet la vélocité de la popularité de Donald Trump face à un candidat démocrate ayant de nombreuses absences, aux airs parfois amorphes et ne brillant pas de vivacité. Fustigé pour ses erreurs à répétition et poussé par les siens hors de la course électorale, Joe Biden a fini par accepter son sort et a annoncé son retrait dimanche 21 juillet à 19h46 (heure française) dans une lettre adressée aux Américains sur le réseau social X (ex-Twitter). Anatomie d’une chute.

L’avenir des importations de gaz de l’Union européenne

En seulement deux ans et demi, la structure et le volume des importations de gaz de l’Union européenne (UE) ont profondément changé. La Russie, qui était le principal fournisseur, a été largement écartée du mix énergétique, et les volumes d’importation ont diminué en raison de la baisse de la demande de gaz au sein de l’UE.

Les travaillistes remportent la primature au Royaume-Uni

Le 22 mai 2024, suite à plusieurs défaites politiques, en particulier au cours des élections locales de début mai, le Premier ministre britannique Rishi Sunak convoque des élections générales quelques huit mois avant la date butoir du 28 janvier 2025.

Le candidat réformateur Masoud Pezeshkian remporte l’élection présidentielle iranienne

Les électeurs iraniens ont tourné le dos aux partisans de la ligne dure en faveur de Masoud Pezeshkian, candidat réformateur.

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