CHRONIQUES

La nouvelle route de la soie : projet colossal mais argileux

 

Quatre ans après avoir adhéré au grand projet commercial de Pékin, l’Italie fait volte-face en annonçant son retrait. Une décision anticipée étant donné les critiques de la Première Ministre Giorgia Meloni, et qui pourrait avoir d’importantes conséquences pour leur relation.

Le projet de la nouvelle route de la soie, de son nom officiel B.R.I. pour Belt and Road Initiative, a été révélé au monde par le gouvernement de la République Populaire de Chine en septembre 2013 lors d’un discours prononcé par Xi Jinping au Kazakhstan. Quelques dix ans plus tard, un revers parmi d’autres vient affaiblir une initiative commerciale qui peine à retrouver la grandeur de sa prédécesseure : Giorgia Meloni officialise début décembre 2023 la sortie de l’Italie du chantier que l’on surnomme «la ceinture et la route».

La nouvelle route de la soie

Point introductif

La B.R.I. est un projet unique en soi, qui mêle une approche terrestre avec l’aménagement de voies ferroviaires permettant l’échange de marchandises à une approche maritime caractérisée par des corridors définis. Toutefois, la nouvelle route de la soie est une référence évidente aux routes de la soie, projet initié entre le 2ème et le Ier siècle avant notre ère sous l’impulsion de la dynastie des Han, ayant servi de base aux échanges commerciaux entre l’Orient et l’Occident.

Au-delà des aspects commerciaux et économiques, les chemins intercontinentaux parcourant les pays représentaient l’opportunité de nouer des liens entre les nations, créant par là même des dépendances, alliances, ainsi que d’importantes influences culturelles. Mais, quelle est la genèse de cette qualification de routes «de la soie» ? Pendant une longue période, la Chine avait le monopole, soit l’exclusivité, de la production de soie dans le monde, et cette fibre naturelle représentait un symbole de richesse. Ainsi, elle constituait un cadeau diplomatique exporté par-delà les frontières de l’Empire de Chine, avant que la «recette» ne soit révélée à des pays voisins comme l’Inde. Puis, ces routes se sont peu à peu ensevelies : en raison de changements géopolitiques liés à une désintégration des grands empires contrôlant, entretenant et sécurisant les infrastructures d’abord ; à cause de modifications paradigmatiques, avec de nouvelles puissances commerciales débarquant concomitamment à de nouveaux besoins économiques, suscités par les Grandes découvertes ensuite.

Source : Geoconfluences

La nouvelle route de la soie

Des implications financières importantes

Fort de la connaissance de cette histoire millénaire dont il ne reste que des rémanences, Xi Jinping a tenté fin 2013 de reconstituer ce réseau tentaculaire afin de créer une dynamique favorable à Pékin tant sur le plan économique que diplomatique. L’initiative lancée, plusieurs accords ont lié la Chine à une diversité d’économies, principalement axées sur l’Asie, l’Europe et l’Afrique, avec des situations économiques variables. L’intérêt global de ce projet pour les nations qui y prennent part est alors de développer des infrastructures propices à un échange commercial renforçant les liens économiques et politiques entre les participants.

Le caractère pharaonique d’un tel projet pose la question de sa faisabilité et de ses sources de financement. Des investissements massifs dans les infrastructures ont été initiés afin de paver les routes et de délimiter les parcours maritimes du réseau. Pour cette raison, la Chine a été généreuse en émission d’Investissements Directs à l’Etranger (IDE), qui sont des investissements réalisés par une économie en direction d’une institution localisée à l’étranger de telle sorte à exercer un contrôle (supérieur à 10%) sur cette dite institution, dans une perspective longue-termiste. Cette générosité est telle que le montant des IDE chinois est évalué à 128 milliards de dollars américains en 2021 selon les chiffres de l’Organisation de Coopération et de Développement Économique, soit plus de 10 fois plus qu’en 2005 où elle investissait 12 milliards via les IDE.

D’autre part, ces investissements vont au-delà des infrastructures. En effet, la B.R.I. englobe une diversité de secteurs allant de la finance à la culture, en passant par le numérique et l’agriculture. Néanmoins, ces investissements gargantuesques posent la question du financement. En l’occurrence, les projets de construction dont la Chine est à l’initiative sont financés par les banques chinoises elles-mêmes. Plus que cela, les chantiers prenant racine à l’étranger le sont également, par le biais de la Banque Asiatique pour les Investissements et pour les Infrastructures (BRAII). Ces prêts émis amènent une nouvelle interrogation : celle du poids de la dette sur les économies débitrices. L’épée de Damoclès que constitue le coût de l’ensemble de ces prêts dans le cadre de la B.R.I. uniquement est estimée à plus de 284 milliards d’euros pour un peu plus de 130 pays, dont certains sont des économies instables, où le poids de l’endettement incarne un risque délétère.

D’autant plus que la politique publique autour de la ceinture et la route n’est pas coordonnée, plongeant l’ensemble dans une confusion constatée. Ainsi, la question de la soutenabilité de la dette se pose pour les pays membres de l’initiative, avec un risque d’endettement exponentiel sans que les retombées attendues ne commencent à poindre.

La nouvelle route de la soie

Un projet aux obstacles majeurs

Par ailleurs, dans le paysage mondial récent, la Belt and Road Initiative se heurte à des défis majeurs, remettant en question son dynamisme. D’abord, l’Inde se profile comme un challenger de taille pour l’Empire du Milieu. Avec une croissance de 7,2% en 2022, New Delhi renforce sa position sur l’échiquier économique mondial. Des accords commerciaux solides, notamment avec des partenaires tels que la France, ont été concrétisés. La visite diplomatique d’Emmanuel Macron lors de la fête nationale indienne nous le rappelle. Ainsi, cette ascension économique de l’Inde constitue une barrière supplémentaire au leadership chinois dans la région.

Parallèlement, le conflit en Ukraine débuté en février 2022 a causé une rupture des voies de chemins de fer traversant le territoire en guerre, déstabilisant un équilibre déjà chétif. Ces interruptions logistiques présentent un défi stratégique majeur pour la BRI, affectant directement ses voies de communication terrestres et soulignant la vulnérabilité de l’approvisionnement. En outre, au sein même de l’Empire du milieu, des remparts supplémentaires se dressent contre le dynamisme économique. La croissance, déjà en berne, est entravée par une reprise post-pandémique labyrinthique, et les défis démographiques, avec une croissance au pas de charge, compliquent davantage la situation. L’image internationale de la Chine subit également des diatribes virulentes, particulièrement de la part des pays occidentaux. Cette perception négative ajoute une dimension complexe aux ambitions internationales de la B.R.I., faisant peser des doutes sur sa capacité à atteindre ses objectifs.

Mais alors, qu’en est-il de l’Italie ? En 2019, alors que Sergio Mattarella dirige le pays, Rome annonce intégrer l’initiative de la ceinture et de la route en signant un protocole d’accord dont l’échéance était placée à mars 2024. La nation italienne est alors le seul membre du G7 à risquer ce rapprochement avec Pékin. Le temps passe et quatre années plus tard, des bruits de couloirs annoncent une fin proche de la participation de l’Italie aux nouvelles routes de la soie. Début décembre 2023, cela ne loupe pas, Giorgia Meloni officialise le fait que l’Italie rompt son accord avec la Chine. La raison motivant ce repli est l’absence de bénéfices constatés. Le projet, lourd pour l’Italie, ne constituait pas une manne financière mais un boulet budgétaire. Cette décision, vivement critiquée par Pékin, a étiolé le grand château de cartes qui continue de se heurter à ses propres contradictions : poids financiers insoutenable, absence de gouvernance claire et identifiée et manque de confiance de la communauté internationale.

Il apparaît donc que la B.R.I. est un projet ambitieux, de prime abord bénéfique pour la Chine tant sur le plan du développement économique que sur celui de l’extension de son influence diplomatique. Toutefois, des limites structurelles ont freiné l’évolution de cette initiative, ralentie par le risque de l’endettement et par le manque de coordination, limites auxquelles s’ajoutent des murailles conjoncturelles comme la guerre en Ukraine. Le cas de l’Italie avec la douche froide de sa rétractation cristallise le doute planant autour de ce chantier d’ampleur, dont il faut imaginer de nouveaux contours pour qu’il se développe de façon pérenne.

Toutefois, il convient de ne pas généraliser l’appréciation de ce projet à la santé économique globale de l’Empire du milieu, ayant encore des cartes à jouer, comme le prouvent les récents efforts de Xi Jinping afin de stabiliser les marchés financiers et de remettre l’économie chinoise sur les rails.

Samuel Brel

Samuel Brel

Auteur

 

Convaincu de l'importance de démocratiser la pensée économique, Samuel rédige depuis deux ans une newsletter quotidienne pour ouvrir les esprits aux enjeux actuels.

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